Introduction de
Jacques Gauthier
Voici l’histoire de Georgette Faniel, née à Montréal le 8 juillet 1915 et décédée le 2 juillet 2002 à l’âge de 86 ans. Dieu l’a appelée très jeune à le suivre, elle s’est laissée transformer dans son amour. Il lui parlait dans son cœur, elle répondait en toute simplicité, pensant qu’il en était ainsi pour tout le monde. Elle n’a voulu qu’aimer, et c’est en aimant qu’elle a fait face à la souffrance dès l’âge de 6 ans, désirant partager celle de Jésus.
Sa famille et ses amis la surnommaient affectueusement « Mimi », ce que je ferai dans ce livre. Je ne l’ai jamais rencontrée, si ce n’est de l’intérieur, en lisant ses notes spirituelles et sa correspondance. J’ai découvert une femme chaleureuse et équilibrée, sensible et vraie, simple et profonde, une femme très humble avec beaucoup d’humour, les deux allant souvent de pair, une femme totalement humaine parce que pleinement en Dieu. Ce livre aborde son histoire comme on approche une terre sacrée que l’on découvre en la fréquentant.
Une petite flamme
Suzanne Dignard, sa fille spirituelle, la décrit ainsi : « Mimi est une petite flamme au cœur de l’Église. Pas de grands discours, mais beaucoup d’amour ». N’y cherchons pas autre chose : une vive flamme d’amour, dirait le poète carme Jean de la Croix, à la sainteté dansante d’une Thérèse de Lisieux, à l’humilité chantante du Poverello d’Assise. Chaque baptisé reçoit aussi cet amour de Dieu répandu par l'Esprit Saint, mais chez Mimi, c'est l'abondance, l'effusion, qui fait qu'elle ne parle pas à Dieu, elle cause avec lui.
Cette femme ordinaire habitait un modeste appartement de la rue Bordeaux à Montréal. Elle y est restée soixante-six ans, vivant dans ce monde tout en n'étant plus de ce monde. Souvent alitée, elle ne sortait presque pas, guidée par des prêtres fervents qui lui ont été envoyés au bon moment pour la soutenir dans son don total à l’amour du Père. Enfouie comme le levain dans la pâte, elle a porté le monde dans sa prière continuelle, sans attirer les regards, sans faire de bruit.
Elle souhaitait que sa vie demeure cachée avec le Christ pour la gloire du Père. Elle ne lui a rien refusé, jusqu’à être configurée au Fils prêtre et victime, son époux. En travail d’enfantement dans la nuit de Gethsémani, elle s’est offerte par lui, avec lui et en lui pour le salut des âmes, ses frères et sœurs en humanité. Le labeur de la croix a creusé des sillons dans sa chair pour des pousses de vie éternelle. Dieu seul connaît la moisson.
Recluse dans son loyer, elle s’est effacée pour que Dieu ait la première place, recevant ses secrets dans le silence intérieur de la Présence. Ce qui ne l’a pas empêchée de servir les plus pauvres en raccommodant leur linge. Elle a accueilli des gens d’horizons variés qui la consultaient et qui repartaient avec la paix au cœur. Femme d’écoute et de compassion, elle ressentait dans son âme ce que ses visiteurs vivaient. Un feu la dévorait, celui que Jésus était venu jeter sur la terre ; une lumière l’éclairait, celle que Jésus voulait voir briller pour la gloire du Père : « Que votre lumière brille devant les hommes : alors, voyant ce que vous faites de bien, ils rendront gloire à votre Père qui est aux cieux » (Mt 5, 16).
Mimi est une merveille du Père, sertie comme un joyau, qui n’a scintillé que pour lui plaire. Sa souffrance assumée dans l’amour ne se trouve pas sur le menu des spiritualités à la carte. Tout semble tellement miraculeux dans sa vie eucharistique et mariale, un peu comme dans le cas de Marthe Robin qu’elle admirait : paroles de Jésus et du Père, stigmates invisibles, conversations avec Marie, visions intérieures, offrande de sa vie pour la reconnaissance des apparitions de Medjugorje, combats contre le Malin, signe de l’alliance sur son corps, et j’en passe, comme vous le constaterez tout au long de ces pages. Faut-il rappeler que les apparitions et les révélations privées, même reconnues par l’Église, n’appartiennent pas au dépôt de la foi ? Leur fonction « n’est pas d’améliorer ou de compléter la Révélation définitive du Christ, mais d’aider à en vivre plus pleinement à une certaine époque de l’histoire.1 »
J’admets qu’il y a là de quoi désorienter les lecteurs d’aujourd’hui. Et pourtant, ce qui échappe à la raison raisonnante, à la science, fait aussi partie du réel, comme l’amour, la poésie, la mystique. Les esprits plus rationnels risquent d’être rebutés profondément devant un tel témoignage de foi ; d’autres conviendront plus facilement que les voies de Dieu ne sont pas les nôtres, qu’il est libre de ses dons et que rien ne lui est impossible quand il se révèle aux plus humbles : « Père, Seigneur du ciel et de la terre, je proclame ta louange : ce que tu as caché aux sages et aux savants, tu l’as révélé aux tout-petits » (Mt 11, 25).
Ces tout-petits sont souvent de grands amoureux de Dieu. Dans leur faiblesse éclate la force divine, comme l’illustre saint Paul : « Ce qu’il y a de fou dans le monde, voilà ce que Dieu a choisi, pour couvrir de confusion les sages ; ce qu’il y a de faible dans le monde, voilà ce que Dieu a choisi, pour couvrir de confusion ce qui est fort ; ce qui est d’origine modeste, méprisé dans le monde, ce qui n’est pas, voilà ce que Dieu a choisi, pour réduire à rien ce qui est ; ainsi aucun être de chair ne pourra s’enorgueillir devant Dieu » (1 Co 1, 27-29).
Mimi ne recherchait pas le merveilleux, le sensationnalisme. Chaque jour, elle immolait sa volonté, comme Abraham son Isaac, pour mieux s’offrir en holocauste d’amour au Père et consoler son cœur de ne pas être aimé de ses enfants. Elle ne désirait qu’accomplir sa volonté, croire en son action en elle. Le 8 décembre 1985, en pleine nuit de la foi, elle s’engage par vœu « à croire tout ce que Dieu fait en moi, que je ne comprends pas, mais que j'accepte totalement! Par amour! » Tout dans sa vie, surtout la souffrance, se résume à cet acte de foi en l’amour qui « espère tout et endure tout » (1 Co 13, 7). Sa dernière parole à son directeur spirituel exprime bien le mystère de sa vie offerte : « Oui, tu m’as conduite jusqu’à la croix et je t’en remercie ». Tout était consommé.
Celle qui signait ainsi plusieurs de ses lettres, « la petite servante de Dieu au service de l’Église et des âmes », se trouve à mille lieues des phénomènes paranormaux à la sauce hollywoodienne ou d’un discours ésotérique à la mode. Elle s’est consumée d’amour au quotidien pour faire vivre Dieu dans les âmes. Authentique fille de l’Église, elle a prié et souffert pour ses membres, surtout les prêtres. Le cardinal Paul-Émile Léger autorisera son directeur spirituel à célébrer la messe chez elle dès 1960 et le cardinal Paul Grégoire la demandera à son chevet à l’hôpital Notre-Dame en 1994.
Mimi a tout reçu de Jésus et tout donné au Père, devenant elle-même une œuvre d’amour de la Trinité, une maîtresse de vie spirituelle. Sa vie a été un long Vendredi saint éclairé des lueurs de Pâques, une nuit que le Ressuscité a parsemé d’étoiles. Son souffle ténu est retourné à la Source qu’elle entendait murmurer en son âme, la voix ferme du Père, brûlante comme une flamme de l’Esprit Saint.
Un trésor à découvrir
Qui pouvait soupçonner qu’un tel trésor était dissimulé sur l’île de Montréal ? L’heure n’est-elle pas venue de le dévoiler, de partager les richesses qu’il contient ? C’est l’objectif de cette biographie spirituelle : manifester au monde la vie cachée de Mimi, révéler de larges extraits de ses notes spirituelles. « Rien n’est caché, sinon pour être manifesté ; rien n’a été gardé secret, sinon pour venir à la clarté. (Mc 4, 22).
Pourquoi ce livre maintenant, me direz-vous ? Je pourrais vous répondre à la manière de Mimi : « Parce que c’est l’heure du Père Éternel ». Il lui avait dit un jour : « Comme mon Fils, tu auras une vie publique ». Elle ne comprenait pas cette parole ni comment elle se réaliserait de son vivant. Il y avait bien eu deux reportages qui avaient levé le voile sur sa vie mystique, mais c’était dilué dans d’autres témoignages. La divulgation des secrets du Roi fut pour elle une immense douleur.
Le premier reportage s’est fait en obéissance à son directeur spirituel Armand Girard et à son conseiller spirituel Guy Girard. Ces frères jumeaux, prêtres de la Société des missionnaires des Saints-Apôtres, accompagneront Mimi avec beaucoup de générosité de 1983 jusqu’à sa mort en 2002. Elle répond à leurs questions ainsi que sur son lien étroit avec Medjugorje dans le livre Marie, Reine de la paix, demeure avec nous 2. Ce qu’elle tenait caché depuis trente ans était révélé d’un coup.
L’autre reportage se trouve dans l’ouvrage Enquête sur l’existence des anges gardiens3. Le journaliste Pierre Jovanovic lui consacre un chapitre entier aux côtés de stigmatisés comme Anne-Catherine Emmerich, Thérèse Neumann, Padre Pio. Ayant eu l’autorisation du père Guy Girard, il la bombarde de questions dans sa chambre sur sa relation à la Trinité et aux anges, sur ses souffrances expiatrices et ses grâces mystiques. Il remarque sa voix de petite fille et ses yeux d’enfant, sa fatigue et son humour. Il note son allergie pour le mot « mystique », sûrement par humilité, car elle se voyait comme une femme ordinaire, à l’exemple de Marie. « Je suis une simple servante de Dieu », disait-elle à Jovanovic. Et lui-même de témoigner : « En tant que journaliste, j’avais interviewé trop de gens pour ne pas déceler la sincérité et surtout l’authenticité de cette dame. Ses réponses étaient plus claires que celles de n’importe quel docteur en théologie comparée ».
Mon épouse m’avait passé ce livre, à l’époque. C’était la première fois que j’entendais parler de Georgette Faniel. Je m’étonnais qu’une telle « mystique » vive à deux heures de chez moi. N’étant pas friand de révélations privées et de phénomènes surnaturels, je continuai d’enseigner la théologie à l’Université Saint-Paul d’Ottawa sans penser à Mimi. Ce n’est que vingt ans plus tard qu’elle fera irruption dans ma vie.
En janvier 2013, les pères Girard, que je ne connais pas, m’envoient leur manuscrit intitulé Alliance pour savoir ce que j’en pense. Dans la première partie, ils évoquent l’itinéraire de Mimi en une quarantaine de thèmes, petits tableaux impressionnistes sur les faits extraordinaires qui jalonnent sa vie. La deuxième partie est constituée d’un échange de lettres entre elle et le poète franciscain croate Janko Bubalo, proche de Medjugorje. Je leur fis part de mon émerveillement devant une telle âme, tout en leur indiquant qu’il manquait une introduction générale à ce livre. Ils me demandèrent de l’écrire. Ce que je fis durant le Triduum pascal 2013. Le courant passa, le feu se propagea, et Alliance parut avec l’introduction en 2014 aux éditions Sakramento.
Qui aurait pu penser que ma route croiserait celle de Mimi de cette façon? C'était dans le cœur de Dieu, comme un secret bien gardé, me dirent les pères Girard. Se noua alors entre nous une solide amitié, nourrie d’échanges fructueux autour de la mémoire de Mimi. Prenant de plus en plus conscience de leurs limites à 80 ans, ils me léguèrent en mai 2016 les écrits de leur mère spirituelle. C’était totalement inattendu. J’acceptai sans trop réfléchir parce que j’aime le Christ et que je considère Mimi comme l’une de ses grandes amoureuses en qui éclate la puissance de sa résurrection.
Je me retrouvai avec cinq boîtes de documents contenant près de huit mille pages : les notes spirituelles de Mimi et sa correspondance, les écrits de sa famille, les lettres de ses directeurs spirituels et correspondants, les notes et réflexions de Suzanne Dignard, les tableaux thématiques et autres textes connexes. La lecture fut ardue par moment, voire déconcertante. Mais peut-on laisser la lampe sous le boisseau, nous dit Jésus ? « On la met sur le lampadaire, et elle brille pour tous ceux qui sont dans la maison » (Mt 5, 15).
Mimi disait souvent qu’il fallait toujours attendre le moment que Dieu avait choisi. Cette biographie, rédigée dans la prière, arrive donc à temps. Tout ce que j’ai écrit s’appuie sur des textes et des témoignages de proches de Mimi. Je n’ai rien inventé.
Ce livre m’aura été donné comme les autres, prenez-le pour ce qu’il est, un don du Père.
Source : Georgette Faniel, le don total. Biographie spirituelle. Montréal, Novalis, 2018, pp. 11-17.
______________
1 Catéchisme de l’Église catholique, 1993, no 67
2 Guy Girard, Armand Girard, Marie, Reine de la paix, demeure avec nous, Éditions Paulines, 1987, p. 55-105.
3 Pierre Jovanovic, Enquête sur l’existence des anges gardiens, Éditions de la Seine, 1993, p. 249-263).