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Notes spirituelles 

Autopsie de mon âme

Introduction de Jacques Gauthier

Georgette Faniel écrit Autopsie de mon âme à la demande de son directeur spirituel, le père Armand Girard m.s.a. L’expression est bien choisie, car cette introspection, commencée le 1er mai 1998, est une véritable mort pour elle. Elle raconte, en une cinquantaine de pages, les quarante premières années de sa vie. Étant trop malade pour continuer, elle poursuivra oralement avec Suzanne Dignard qui prendra des notes. « C’est étrange, n’est-ce pas ? Autopsie de l’âme dans un corps de 82 ans! ». Ce document, au titre ironique, est tout de même très important, car il nous en apprend beaucoup sur ses parents et ses premières années. 

Mimi est une bonne conteuse, mais le style est souvent lourd. S’il y a aussi quelques répétitions il y a des mots d’humour qui font sourire et révèle son équilibre. Elle n’aime pas l’introspection, préférant vivre le moment présent avec Dieu. On sent que cette demande de son directeur spirituel lui pèse. Par exemple, elle note qu’un dimanche soir, Mgr Beaudry lui téléphone du collège de l’Assomption pour l’informer du décès de l’abbé Pleau. « C’est une bien grande épreuve pour moi, plus de directeur de conscience. » C’est tout de même étonnant qu'elle affirme qu’elle n’a plus de directeur de conscience, puisque le père Gamache vit toujours, mais il était loin et les rencontres avec l’abbé Pleau étaient providentielles.  

L’année 1999 marque la fin de ses notes spirituelles, commencées il y a une cinquantaine d’années avec le père Gamache. Ces derniers textes, écrits pendant le carême, sont peut-être les plus beaux de ses notes. On remarque vite le changement de style et de contenu d’avec Autopsie de mon âme, qu’elle ne terminera jamais. 

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Autopsie de mon âme

Vendredi 1er Mai, Fête de Saint Joseph
 
Mois de mai 1998, mois de Marie

Par obéissance, je dois écrire une partie de ma vie, c’est-à-dire faire l’autopsie de mon âme. C’est étrange, n’est-ce pas ? Autopsie de l’âme dans un corps de 82 ans!  Cette âme a un grand amour du Père Éternel, sans oublier Jésus, Marie, Joseph, les saints et les anges.    

Voici mes origines. Mon père était né en Belgique et avait été décoré chevalier de l’Ordre de Léopold II, roi de Belgique. Il était artiste peintre et avait beaucoup apporté par son art au Canada. Mon grand-père paternel qui portait le nom de Jacques Noël Faniel est décédé à l’âge de 68 ans, le 8 novembre 1910 à Verviers, province de Liège en Belgique. Ma grand-mère qui portait le nom de Marie-Hélène Paris est décédée à l’âge de 67 ans, le 26 juin 1909 à Verviers. De cette union sont nés 7 enfants, 5 garçons et deux filles. Un garçon Victor, devint prêtre missionnaire et un autre nommé Alfred, devait devenir mon papa.

Mon père, demeurant en Belgique vint au Canada pour se faire prêtre. Au plus profond de son cœur, il voulait devenir jésuite. Arrivé au Canada, il fut admis au noviciat du Sault au Récollet. Après un an, son directeur de conscience lui indiqua qu’il n’avait pas tout ce qu’il fallait pour devenir prêtre. Il quitta donc le collège pour travailler chez les Jésuites à Montréal. 

Pendant ce temps celle qui devait devenir ma mère était entrée chez les Sœurs Grises à l’âge de 17 ans. Elle y demeura pendant quatre ans. Quelques mois avant sa profession, elle a dû quitter pour cause de santé. 

Dans le plan de Dieu sur eux, ces deux personnes se rencontrèrent. Après deux ans de fréquentation, ils se sont mariés. Ils étaient tous deux de fervents catholiques et aimaient Dieu profondément. Le mariage de mes parents Georgine Beaudry avec Alfred Faniel, le 30 août 1908, donna dix enfants dont trois garçons décédés en bas âge. Il resta donc sept enfants vivants. 

L’exemple de nos parents et leur grande foi nous servaient d’exemple. Leur soumission à la Volonté de Dieu, malgré bien des épreuves, nous édifiait. Dans notre foyer il y avait beaucoup d’amour et beaucoup d’humour! 

J’étais la sixième enfant de la famille et étant née entre cinq garçons, maman me disait souvent : « Tu sais, tu es ressuscitée d’entre les morts. » Voilà 82 ans de cela.

Je suis donc née le 8 juillet 1915, un vendredi, vers onze heures de l’avant-midi. Mes parents demeuraient rue Marie-Anne Est. Le mois de juillet 1915 était très chaud et humide. Vers le 4 juillet, maman disait à papa, si tu veux avoir un souvenir de ton épouse et de tes enfants (car j’étais cachée dans le ventre de ma mère) demande à ton ami de venir prendre une photo de la famille, car, disait-elle, je n’ai plus la force de porter cet enfant, je me sens mourir. 

C’est alors que la photo fut prise et je suis née le 8 juillet sans aucun problème. Plus tard, maman me disait : « J’ai manqué de confiance, j’aurais dû attendre quelques jours et tu aurais eu ta photo avec nous. Tu étais là, bien cachée. Pourquoi? » Grâce à Dieu la maman se porte bien ainsi que le papa. Le dimanche 10 juillet, j’ai reçu le sacrement du baptême à l’église Immaculée Conception par le curé Joseph Proulx s.j.

Mes parents désiraient que je porte le nom de Anne Marie Georgette, mais le curé ne voulait pas, car il disait : « Cette enfant portera le nom de Marie Anne Georgette pour que le nom de Marie passe avant le nom de Ste Anne. »

Mon parrain Georges Desmarais était propriétaire d’un magasin d’objets religieux. Son épouse était toujours avec lui pour l’aider dans son travail. C’était des gens pieux et charitables. Au retour de l’église, la dame donna à maman un beau chapelet vert avec un crucifix doré où était inscrit : La croix est mon salut. Pour mes deux petites sœurs et mon frère, il y avait pour chacun, un merveilleux petit chapelet rouge. Pour le bébé que j’étais, il n’y avait absolument rien, même pas une petite médaille comme souvenir de mon baptême. Maman a beaucoup pleuré. Pourquoi ces larmes dans ses yeux ? Pauvre maman, par le sacrement du baptême, j’avais reçu plus qu’une médaille.

Un an, deux ans, trois ans rien de spécial. À l’âge de quatre ans, maman faisait le lavage du linge. Je voulais l’aider en tenant le linge, mais ma petite main glisse et le petit doigt reste pris dans l’essoreuse; pleurs et souffrances. Mais cet accident m’a valu le privilège de coucher dans le lit de grand-maman Beaudry que j’aimais beaucoup.

Elle me parla de Jésus car je pleurais et à ce moment-là grand-maman me présenta le crucifix ! Elle me dit : « Regarde Jésus, il a souffert. Regarde ses mains clouées à la croix, ce n’est pas seulement le petit doigt qui lui faisait mal. Baise-le et dis-lui que tu l’aimes. » Je pris le crucifix et je déposai un baiser en disant à grand-maman que ça faisait mal pareil. Grand-maman me demanda d’offrir tout pour les gros pécheurs, mais dans ma tête d’enfant de quatre ans, je croyais que les gros pécheurs étaient de grosses personnes. Je redoublais de prières.

Grand-maman mourut le 21 février 1920. Le lendemain de sa mort, grand-maman était exposée dans le salon où les femmes priaient et les hommes étaient dans la cuisine à fumer et à boire du café noir. Comme je pleurais trop en regardant ma grand-maman, ma mère demande à papa de me garder avec lui dans la cuisine. J’étais assise sur ses genoux, puis j’entends frapper à la porte. Je regarde et reconnais grand-maman. Je voulais aller lui ouvrir la porte et la faire entrer, car il faisait très froid en ce 22 février 1920. Papa ne voulait pas que je me déplace et il me disait que grand-maman n’était pas là. « Elle est morte et son âme est avec Jésus. Donc tu ne peux pas la voir ! »

Pendant tout ce temps, je voyais toujours grand-maman qui me faisait signe de venir. Je la voyais avec son petit châle sur la tête, une petite rangée de bouclettes de cheveux sur son front, un petit ruban noir au cou avec une petite croix blanche. Chemisette blanche avec jupe noire. Son image est toujours vivante dans ma mémoire. Il y avait aussi le chapelet qu’elle récitait. Le Saint Père avait accordé 300 jours d’indulgence sur chaque grain.

Nous récitions souvent ce chapelet pour réparer les outrages faits à l’Eucharistie. Le chapelet se disait comme ceci : sur chaque grain, nous disions : « Jésus au Saint Sacrement, ayez pitié de nous. » Grand-maman le récitait souvent pour le repos des âmes du purgatoire.

Un autre souvenir de grand-maman, avant de mourir, elle demande à maman que nous les enfants restions près d’elle. Nous étions quatre, mes deux sœurs et mon frère priaient. 

Moi, j’étais trop petite pour prier, je tenais la bouteille d’eau bénite, pour la bénir, car grand-maman disait : « Vous savez les enfants quand une âme va vers Dieu et va mourir, elle a grand besoin de prières, car le démon veut la détruire, surtout si cette âme n’a jamais voulu lui appartenir. » Je ne comprenais pas tout, cependant au fond de mon petit cœur, je sentais le besoin de la bénir avec de l’eau bénite.

C’était une dure épreuve pour nous tous de voir mourir grand-maman. Maman venait de mettre au monde mon petit frère quinze jours avant, dans des circonstances difficiles. Le bébé pesait douze livres à la naissance. C’était son dixième enfant. À quarante et un ans, elle était épuisée, mais quel courage, elle acceptait tout. Sa foi a toujours été sa force ! Sa soumission à la volonté de Dieu, son amour pour lui, sa prière et son exemple. 

Dieu sait combien elle a eu d’épreuves de toutes sortes, maladie, drame, mortalité, son manque d’argent, du nécessaire même, de nourriture, etc. Un jour elle me disait : « Tu sais le chemin de croix que je devais suivre et accepter ne s’est pas terminé à la quatorzième station, il a duré toute ma vie. »

Elle est décédée à l’âge de 78 ans et lorsqu’elle reçut l’onction des malades, elle me demanda d’être couchée près d’elle et me tenait la main bien fort. Son grand désir était que je parte avec elle, car elle me laissait seule. Cependant il y avait encore trois sœurs et deux frères, tous mariés.

Maintenant j’ai cinq ans. Je demeurais avec ma famille. Comme j’aimais chanter et entendre de la musique, nous avions eu un tourne-disque (je devrais dire un tourne-tête) car il était défectueux. 

Je montais sur une chaise et je passais de longs moments à faire tourner le disque pour entendre au moins un son de musique. Mais non ! J’entendais un sifflement aigu comme une sirène de bateau. J’étais heureuse, il y avait au moins quelque chose. Je ne tournais pas pour rien. Cela durait parfois un quart d’heure au grand désespoir de mes auditeurs. Si quelqu’un riait, je pleurais. Je voulais tellement faire entendre un peu de musique. Dans la famille de papa, il y avait un grand compositeur qui se nommait Henri Faniel, et à onze ans papa accompagnait régulièrement ses parents à l’opéra. 

L’oncle Victor, missionnaire, était le frère de papa. Il chantait et était un organiste doué. Dans sa mission aux îles Philippines il a remis à neuf un orgue qui avait près de deux cents tuyaux de bambou. À Noël, il ajoutait de l’eau dans les tuyaux de bambou et lorsqu’il jouait le son sortait comme le chant des oiseaux. Les auditeurs étaient dans l’admiration et rendaient grâce à Dieu. Maman chantait très bien, elle était soprano, mon père chantait aussi. Il avait une voix de ténor. Par la suite nous étions six pour chanter à la chorale de la paroisse Immaculée-Conception, soit les parents et quatre enfants. 

Nous chantions à l’église tous les soirs durant le mois de mars dédié à Saint Joseph; le mois de mai dédié à Marie et pour le mois de juillet dédié au Précieux Sang, puis le mois d’octobre, mois du rosaire. Il y avait aussi le chant durant les messes le dimanche, les vêpres, les retraites, plus les concerts. Il y avait beaucoup de répétitions. J’étais la seule enfant à chanter avec des adultes. Bien souvent il y avait des gens qui disaient : « Nous avons entendu chanter les oiseaux du paradis ou les oiseaux du Père Fontaine ! »

Puis un jour à l’occasion de Noël, le Père Fontaine me demande de venir chanter avec la chorale des petits garçons durant la messe de minuit. Je ne voulais pas, car dans ce temps-là, il était défendu de chanter ensemble garçons et filles durant une cérémonie religieuse. Le Père Fontaine a eu la permission de me faire chanter durant la messe de minuit. Le Père Fontaine me plaça devant lui pour chanter. Les petits garçons durant la répétition chantaient : « Mimi Chrétien » au lieu de « Minuit Chrétien ». Le bon Père Fontaine semblait ne rien entendre. Il disait : « C’est bien, c’est même très bien. » Les petits garçons en profitaient pour me taquiner. J’étais la seule fille à chanter avec eux. Ceux qui étaient le plus près de moi, étaient les deux petits frères, ils étaient ingénieux pour trouver des moyens pour me taquiner. Plus tard, ils sont devenus Pères Jésuites et aujourd’hui, ils sont décédés.  Je me suis un peu écartée du sujet, c’est bien moi !

Donc, me voilà rendue à l’âge de six ans. Je commençais à être malade : Cœur, poumon, etc. Le directeur de conscience de maman lui demande : « Votre petite est souvent malade. Je crois qu’il serait prudent de lui faire faire sa première communion. Je la connais, et il y a longtemps qu’elle est prête. »

Je me souviens, mon petit cœur avait déjà beaucoup d’amour pour le petit Jésus. Mais dans ce temps-là l’enfant ne pouvait communier qu’à l’âge de huit ans et je n’avais que six ans à peine.

Ayant une permission de communier j’étais au comble de la joie. Tous les jours je voyageais assise dans une petite voiture que mon frère tirait, c’était très loin pour me rendre à l’école. D’ailleurs j’étais trop faible pour faire une longue marche. 

Étant trop jeune pour étudier, les religieuses préparaient ma petite âme pour recevoir le petit Jésus. Cela durait une heure l’avant-midi et une heure l’après-midi. Donc, deux heures tous les jours. 

Après j’étais obligée d’attendre mes deux sœurs et mon frère pour faire le retour à la maison. Parfois l’après-midi on me faisait reposer et manger un peu, car j’étais si faible et épuisée que je n’aurais pu continuer. Le reste du temps, j’étais avec une religieuse qui jouait du piano. Pour moi, lorsque venait l’heure du départ, j’avais de la peine, je me sentais si bien près de la religieuse à écouter de la musique. Puis de retour à la maison j’étais heureuse de retrouver mes parents, mes sœurs et mes frères.

Le jour vint où je devais me préparer pour ma première communion. Pendant trois jours, je n’avais pas le droit de jouer, de parler avec mes sœurs et frères. J’étais dans une petite chambre seule à prier. Maman venait me parler du petit Jésus. Comment préparer cette grande visite dans ma petite âme. Chaque fois mon amour pour lui était plus grand. J’avais hâte et déjà mon petit cœur me faisait mal, tellement il y avait de l’amour à donner. 

         Je comptais les jours. Je prenais mes repas seule, mais à ma grande surprise, je ne pleurais pas. J’étais si sensible pour tout, un seul regard sévère me faisait pleurer. Je tremblais devant une personne en colère. Ce n’est pas dans ma nature de me confier. Pourquoi ?  Habituellement un enfant dit tout et parfois parle trop. Cependant, j’aimais rire, parler, mais il y avait en moi un petit coin secret !

           Le jour de ma première communion arrivait bientôt, pour moi c’était un grand mystère. Le Jésus en croix venait se faire assez petit pour être dans une petite hostie à moi. Comme cela son amour est petit ? À la messe je voyais le prêtre élever une grande hostie. Dans mon petit cœur je regardais et je la voulais cette grande hostie pour avoir Jésus en gros et avoir beaucoup plus d’amour. Parfois je regardais longuement l’hostie. La religieuse me disait : « Petite curieuse, baisse la tête. » Elle ne me disait pas pourquoi, et voilà dans ma petite tête, je me posais la question, pourquoi ne pas regarder si c’est Jésus qui est là ? 

Et voilà que j’entends intérieurement : « C’est vrai que tu es curieuse, je n’aime pas cela, tu n’es pas obéissante et tu as fait un gros péché mortel qui va te conduire en enfer. »

J’ai tellement pleuré, me sentant coupable, je craignais de regarder les gens, croyant que tout le monde savait ma faute, et connaissait mon secret. Je voulais davantage être seule. Mes parents s’inquiétaient et me demandaient : « Qu’est-ce que tu as ? » Je parvenais à sourire un peu en disant, il n’y a rien ! Après quelques minutes, je commençais à pleurer. Rien pour me consoler, même pas les baisers de maman, les caresses de papa. Je me sentais seule dans cette grande famille.

Maman décide de donner la permission à la petite voisine de venir jouer un peu avec moi, pour me distraire, car je pleurais souvent. La petite voisine avait neuf ans et demi et moi à peine six ans. Maman nous laisse seules dans la chambre. (Je me souviens encore de son nom mais je dois me taire,) La petite voisine me dit : « Viens nous allons jouer un nouveau jeu. » Je dis non, je veux savoir le nom. Elle me dit ce jeu n’a pas de nom, il faut le faire pour savoir que ce jeu s’apprend vite et nous allons avoir beaucoup de plaisir et tu vas rire. 

Comme elle était plus grande que moi, elle s’approche, me prend dans ses bras me baise et me caresse. « Tu vois, dit-elle, c’est un beau jeu ! Je ne t’ai pas fait mal ! Tu vas voir, tu vas aimer cela et tu pourras le faire seule. Tu auras toujours le même plaisir, » Donc elle enlève ma petite culotte et passe sa main à plusieurs reprises, je pleurais et je lui disais : « Va-t’en, laisse-moi » − « Ne crie pas, disait-elle, ta maman va te punir pour ce que tu as fait. » Puis elle continuait avec plus d’ardeur. « Dis-moi que tu aimes cela. » Et elle continuait. Je pleurais et je ne pouvais plus me dégager, je n’avais plus la force de me battre contre elle. Puis avec un sourire : « Tu vois, c’est facile, je suis sûre que tu ne l’oublieras jamais ce jeu- là. » (Elle avait dit vrai!) Je n’ai jamais oublié ce jour-là. Je ne pouvais dormir, je ne savais pas ce qui m’arrivait!

Le lendemain matin la religieuse nous prépare pour la première confession. Elle faisait avec nous l’examen de conscience. Elle parlait des mauvaises pensées, les désobéissances à nos parents, des mauvais touchers entre petites filles ou petits garçons. Elle ajoutait : « C’est un gros péché mortel qui mérite l’enfer pour toujours. » Voyant que c’était mon cas, je pleurais et je pensais : Jésus ne m’aime plus !  Je détestais la petite voisine, je disais à maman : « Je ne l’aime pas, je ne veux plus la voir. »

Maman de me dire : « Ce n’est pas bien d’agir ainsi, qu’est-ce qu’elle fait pour te mettre dans cet état ? » Dans mon petit cœur je souffrais et je ne voulais rien dire à maman. 

Puis le jour de la confession arrive. Nous allons à l’église avec la religieuse. Elle me plaça près du confessionnal du Père Curé. Je ne voulais pas car j’avais peur de lui. Il parlait très fort! C’était un homme très corpulent. (Je crois qu’il était plus gros que le Père Noël). 

Tout ce que je me rappelle, c’est que je lui ai dit que j’avais fait un gros péché. À ce moment-là, il parla assez fort, que je n’ai rien compris. Je pleurais parce que j’entendais intérieurement une voix qui me disait : « Tu es damnée car tu as fait une mauvaise confession et le prêtre ne t’a pas pardonné. Il n’y a pas de pardon pour toi quoique tu fasses. Tu es en état de péché mortel. » Quel drame je vivais, c’était plutôt la mort et mon secret était caché au fond de mon petit cœur.

      Puis le jour de ma première communion arrive le 21 avril 1922. Voilà 76 ans de cela ! Je n’ai jamais oublié ces jours. C’était fête à la maison, toute la famille était heureuse. Pour la circonstance j’avais mis une petite robe blanche que ma sœur avait. Elle me l’a prêtée. 

Je regardais mes petites compagnes qui me disaient : « Regarde nous avons des robes neuves. » D’autres ajoutaient : « Nous sommes plus belles que toi, regarde mes souliers blancs. » et moi, j’avais des souliers noirs. Parfois je disais : « Le jour de ma première communion j’aimerais être en blanc comme une mariée. » 

Intérieurement j’entendais ceci : « Regarde tu es la plus pauvre, la plus laide. Tu es la seule à communier en état de péché. Je vais le dire au Père Curé et à tes parents. Cela paraît dans ta figure ! »

Je souffrais tellement et je n’avais personne à qui me confier. Le lendemain, il y avait beaucoup de bruit, et j’entendais le son des sirènes de pompiers. Je courus vers maman en pleurant : « J’ai peur, j’ai peur ! » Elle me prend dans ses bras et me rassure, et me dit : « C’est le feu à l’asile St-Jean de Dieu, et les pompiers sont là pour éteindre le feu et sauver les malades mentaux. » Moi je voulais donner mon manteau pour les aider. 

Maman m’explique que les malades mentaux c’était des personnes très malades dans leur tête. Je lui demande si c’était que les grandes personnes qui avaient cette maladie. Non répondit maman. Il y a parfois des petits bébés, des enfants, des personnes jeunes ou âgées. Va prier pour ces gens-là.

Mais voilà, je ne pouvais prier et je revins vers maman. Je lui dis, tu sais maman, j’aimerais bien aller vivre avec ces gens-là. Tu vois, je pourrais jouer avec les bébés, partager les jeux avec les plus grands, raconter des histoires, chanter pour les personnes âgées. Si elles pleurent, je pourrais les consoler, leur faire des caresses, faire le ménage dans leur chambre, faire des commissions. Dans ma petite tête, j’avais bien des moyens pour obtenir la permission. Non c’est non ! me disait maman. Je ne pouvais pas comprendre pourquoi ce non ! Maman si bonne, si charitable, si pieuse. Mon petit cœur était blessé par ce non c’est NON ! Je pleurais! Beaucoup plus tard, je comprenais.

Me voilà à l’âge de sept ans. Nous avions de grandes épreuves, maladie, pas de travail pour papa (car il était artiste peintre). Il faisait plusieurs tableaux qu’il vendait, mais dans ce temps-là c’était du luxe pour acheter une toile.

Je me souviens d’une fois, papa était parti pour chercher du travail. Pendant ce temps, maman nous faisait prier, demandant à Dieu d’avoir pitié de nous, car nous avions besoin de nourriture, de vêtements chauds, de remèdes. (Combien de fois je remarquais maman se priver de nourriture !) Nous avions terminé notre prière, papa sonne à la porte et maman va lui ouvrir. Quelle surprise et quelle joie ! Papa tenait dans ses mains une grande statue du Sacré-Cœur que les religieuses lui avaient donnée. 

Maman lui demande : « Est-ce que c’est pour repeindre ? » Papa lui répond : « Non, c’est à nous. » Maman pleurait de joie ! « Voyez les enfants dans notre prière nous avons demandé à Dieu d’avoir pitié de nous, et voilà que Jésus demeurera avec nous. » Encore à genoux pour remercier, et tous les soirs la prière se faisait devant la statue du Sacré-Cœur de Jésus.

En ce moment, c’est mon petit frère qui la possède. Il le mérite bien, car à l’âge de trois ans, il était seul avec une personne qui le gardait. Papa travaillait, maman était à l’hôpital et nous étions quatre enfants à l’hôpital Ste-Justine. Mon petit frère était à la maison et pleurait en disant papa, maman, et il nous nommait tous par notre nom en disant son ennui, car la personne qui le gardait, dormait d’un profond sommeil. C’était dans l’après-midi et à un moment donné, la personne se réveille en entendant mon petit frère crier. Il était très pâle. Elle croyait qu’il était malade. Elle lui demande : « Es-tu malade ? Qu’est-ce que tu as ? » Et lui de répondre : « Le Sacré-Cœur de Jésus a bougé et m’a parlé. J’ai eu peur ! » – « Qu’est-ce qu’il t’a dit? » Le petite frère répond : « Il m’a dit de ne plus pleurer, tout le monde va guérir. » Alors la personne toute émue et bouleversée, demande à un Père Jésuite de venir à la maison pour questionner l’enfant.

Le bon Père vint à la maison et demande : « Est-ce que Jésus avait des bottines ? » Mon petit frère était fatigué d’avoir à répondre à toutes ces questions et il répondit au Père : « Tu ne comprends rien. Il ne peut avoir des bottines, il était sur des nuages. »  Et mon petit frère faisait de grands gestes pour montrer ce qu’il voulait dire. Puis le Père lui demanda de quelle couleur était son cœur ? Mon petit frère fit une colère et répondit : « Je ne dis plus rien, parce que tu ne comprends pas. » Ce fut un silence total. 

Cependant mon petit frère a gardé une dévotion au Sacré-Cœur de Jésus et la statue du Sacré-Cœur est toujours chez lui. Quel privilège ! Un jour durant la guerre, il était dans l’armée et loin de la famille. Il écrivait ceci : Pourquoi le Sacré-Cœur m’a-t-il fait ce privilège ? Et qu’est-ce que Dieu attend de moi ? Il a la réponse aujourd’hui. Il est marié et père de dix enfants.

Je suis rendue le 16 mai 1998 et je dois parler d’hiver et de Noël ! Dans ma chambre, il fait très chaud. Donc cela me donne un peu d’air frais ! N’est-ce pas que c’est amusant une telle situation !

Donc le 25 décembre 1922, Jour de Noël, nous avions hâte de voir ce jour arriver. Mes parents étaient avec nous près de la petite crèche, maman dit : « Aujourd’hui c’est le jour de Noël, et regarde le petit Jésus est né pauvrement. Il n’a pas de petit lit pour se coucher, il a froid, il n’a pas de jouets, ni de cadeaux. Papa et maman auraient bien aimé vous donner de belles choses, des cadeaux. Il y a de gros sacrifices à offrir à Jésus, c’est le moment de lui prouver notre amour. »

 Prenant une feuille et un crayon elle nous dit : « Maman va écrire tout ce que vous désiriez avoir pour cadeaux. »  La liste était longue car nous étions sept enfants. Chacun disait ce qu’il désirait : camion, voiture, etc. Moi je demande une poupée vêtue en religieuse. Puis maman nous dit : « Maintenant, nous allons faire un cadeau à Jésus en lui donnant la liste avec les cadeaux que vous auriez voulu avoir. Pour que notre sacrifice fasse plaisir à Jésus, nous allons le faire avec beaucoup d’amour. » Donc un par un, chacun disait à Jésus ce qu’il lui offrait. 

Rendu à mon tour, je disais à Jésus : « Tu sais je veux te faire un cadeau. Je t’offre la poupée vêtue en religieuse, es-tu content ? » 

Puis je le regardais, j’aurais aimé avoir un petit sourire, mais non rien. Je dis à maman : « Je crois qu’il n’a pas compris ! C’est vrai qu’il est en plâtre ! »

Après avoir fait le sacrifice de tout donner à Jésus, nous étions dans la joie, le rire et le chant. Une vraie fête. Nous n’avions même pas un bonbon, mais dans nos cœurs il y avait beaucoup de bonheur. Maman pleurait de joie à nous voir agir ainsi. Est-ce que c’était normal d’agir ainsi ? Humainement, non ! Mais dans nos cœurs nous avions compris la valeur du sacrifice fait par amour pour le petit Jésus.

Je reviens. Dans l’après-midi, les deux élèves de mon père arrivent avec deux traînes sauvages remplies de boîtes contenant nourriture, vêtements, jouets, bonbons, surtout des lunes de miel en chocolat que j’aimais beaucoup, mais qui étaient très rares ! Puis un ami de papa, un compatriote belge sonna à la porte. Papa lui ouvrit la porte. Il n’était pas content l’ami. Il fit des reproches à papa. « Pourquoi agir ainsi, nous te cherchons depuis plusieurs jours pour t’inviter ainsi que ta famille et ta chère épouse afin d’assister au dépouillement du sapin de Noël. Donc je vous invite tous, venez les enfants. »

Nous voilà donc partis toute la famille. Arrivés à la grande salle de l’Union Belge, tous nous attendaient avec beaucoup d’amour. C’était des gens très chaleureux avec le sourire. « Venez, venez les enfants, le Père Noël vous attend. » J’ai peur d’approcher, car en le regardant, il me faisait penser à de gros curés ! Il me dit : « Approche petite » et d’une voix forte (à faire trembler les montagnes) : « N’aie pas peur, je vais te donner ton cadeau, et il ajouta, regarde bien ! Es-tu heureuse? » 

J’étais tellement émue, je pleurais, mais cette fois c’était de joie. Il y avait dans la boîte une poupée vêtue en religieuse ! Chose étrange, chaque enfant avait ce qu’il désirait. Et je me posai la question : « Comment se fait-il qu’un petit Jésus en plâtre pouvait savoir tout ce que nous voulions ? »  Et maman de répondre : « C’est par l’amour, le sacrifice, la foi en ce petit Jésus qu’il a exaucé vos prières. » 

Je n’oublierai jamais ce jour de Noël ! Quelques temps après, un ami de la famille nous a donné un gallon de mélasse et au moins vingt livres de fromage canadien. Nous étions si heureux ! (Ce n’était pas le faubourg à mélasse, mais bien proche.)

Les prières de mes parents sont exaucées. Nous devons déménager, pour revenir vivre dans la paroisse Immaculée Conception, dirigée par les Pères Jésuites. Nous vivons dans la paroisse St-Jean Baptiste de la Salle où j’ai fait ma première communion. 

J’étais la seule à faire la première communion dans une autre paroisse, parce que les sept enfants ont tous été baptisés, fait leur première communion, puis le mariage de mes trois sœurs ont eu lieu à la paroisse Immaculée Conception. Il y eut aussi dans cette église le baptême de mes nièces. Il y a eu aussi les funérailles de mes parents, mes quatre frères et de ma sœur. Que de souvenirs dans cette église !

Il y avait une belle statue de la Vierge Immaculée et je me mettais presque toujours dans le premier banc pour être plus près de la Vierge pour la prière, puis à droite, au-dessus de la grotte de Lourdes, il y a un tableau peint par mon papa, Alfred Faniel. Ce tableau représentait la vision de la Sainte Vierge Marie avec Jésus dans ses bras à Saint Ignace de Loyola s.j. dans la grotte de Manrèse.

        Il y a une petite histoire avec le tableau. Comme artiste, papa cherchait une figure pour personnifier la Vierge Marie, c’est-à-dire un modèle. Donc il sortait avec maman, puis durant le trajet, dans le tramway, papa regardait surtout les femmes qui étaient là et ne parlait pas à maman. Maman lui dit : « Alfred, cesse de regarder ces femmes qui sont devant nous ! » Papa de lui dire : « Je suis artiste et je me cherche un modèle pour le tableau. » Et maman lui dit : « Cherche ailleurs, je ne vois pas Marie avec une figure maquillée et du rouge sur les lèvres. » Puis ce fut le grand silence jusqu’au retour à la maison.

J’étais heureuse de les voir de retour. Je demande comment a été votre voyage ? Papa le grand silencieux me regarde avec un air de pitié ! Maman paraissait triste et me dit : « C’est toujours la même chose lorsque nous sortons ensemble. » Je n’avais rien à ajouter. Je lève les yeux vers le ciel, demandant à Dieu d’avoir pitié de nous !

Papa était assis près de moi, il se lève et me dit : « Ne bouge pas petite, ne bouge pas, je reviens. » Après quelques minutes, il me dit : « C’est toi qui vas poser pour le tableau de l’église. » Je ne voulais pas. Papa s’efforça de me faire comprendre que c’était très important pour lui. Je répondis à papa : « Je ne veux pas, je ne suis pas digne, je ne suis pas la Sainte Vierge ! »  Papa de répondre : « Ta conduite me le prouve, je t’en supplie ma petite, fais-le pour Dieu ! Fais-le pour moi ! C’est ton regard, l’expression de ta figure ! La douceur, le calme, la grande paix qui rayonne. Je te le demande s.v.p. il faut que je termine ce tableau le plus rapidement possible, »

Et voilà le tableau est encore là dans l’église de l’Immaculée Conception où j’ai été baptisée il y a 82 ans  et je suis encore dans le tableau !

Maintenant je suis âgée, mais sur le tableau je resterai toujours jeune. L’image de Marie est l’éternelle jeunesse !

Je reprends. Je suis à l’âge de huit ans, très malade, le cœur, les poumons. Maman demande le prêtre pour me donner l’onction des malades. Après le Père F. dit à maman : « Ce qui me fait le plus de peine, c’est que la petite ne me reconnaît plus. » Dans la nuit, maman a paralysé et est partie pour l’hôpital. Le lendemain le Père vint me voir et il n’y avait aucun changement de mon état. Le médecin décide de m’envoyer à l’hôpital Ste-Justine. J’étais placée dans la même chambre que ma grande sœur M. et mon petit frère G. Pauvre papa, épreuve sur épreuve, son épouse à l’hôpital, quatre autres enfants à l’hôpital Ste-Justine, et j’étais mourante.

C’était la nuit du 19 mars, fête de Saint Joseph. L’hôpital téléphone chez la voisine, pour demander de parler à papa, lui demandant d’apporter une petite robe blanche et autres vêtements pour mettre après le décès de la petite. Il n’y a plus d’espoir de vie. Venez vite ! La voisine lui donna la petite robe blanche que sa petite fille avait portée pour sa première communion. 

Papa se rend à l’hôpital et remet la boîte à l’infirmière. Il lui demande : « Où est ma petite fille ? » (Car je n’étais pas dans ma chambre.) Elle lui dit : « Venez, elle est ici dans le solarium. » J’étais sur une civière, recouverte d’un drap blanc qui couvrait tout mon corps et ma tête. Quelle épreuve pour mon cher papa !

Il soulève le drap et baise mon front et il pleure en disant à Saint Joseph : « Je ne vous ai pas demandé de venir chercher ma petite fille, je vous ai demandé de la guérir ! » Dans le grand silence de la nuit, à trois heures du matin, il entend un bruit de pas. Quelqu’un marchait lentement. 

À sa grande surprise, il reconnaît le Docteur Moreau. « Qu’est-ce que vous faites ici à cette heure ? » Car le Docteur Moreau était âgé de 89 ans et ne pratiquait plus la médecine depuis l’âge de 70 ans. Et le Docteur Moreau de répondre : « J’ai eu un appel urgent ! » Et il demande à son tour à papa : « Et toi qu’est-ce que tu fais ici ? » Papa lui dit : « J’ai été appelé pour venir voir ma petite fille, elle est là. »

Le Docteur Moreau soulève le drap et appuie sa tête sur ma poitrine et écoute pendant un long moment en silence. Puis il regarde papa et lui dit que ce n’est pas fini. Je crois entendre un très petit souffle de vie. Il demande à l’infirmière de me ramener dans ma chambre. Elle répond qu’elle ne peut pas et elle va chercher le médecin pour recevoir un non formel. Alors le Docteur Moreau dit : « Je dois agir et je veux voir le médecin en chef sinon je vais chercher des journalistes et si vous voulez avoir un scandale dans l’hôpital, vous allez l’avoir ! » Devant cette situation délicate, je suis de retour dans ma chambre et le massage commence rapidement. 

Je repris vie tout en demeurant dans une sorte de coma. Papa décide d’aller à l’oratoire Saint-Joseph et il marche plusieurs heures. À son arrivée à l’oratoire, le FRÈRE ANDRÉ était là et il demande à papa ce qu’il avait. Papa lui raconte tout. Le Frère André lui dit que cette enfant sera privilégiée de Saint Joseph. Puis papa assiste à la messe et communie tout en me recommandant à Saint Joseph.

Dans l’après-midi à la cérémonie des malades, le Père Clément, père de Sainte-Croix, me recommande aux prières durant l’office. Pendant ce temps, j’étais à l’hôpital Sainte-Justine et je reprenais conscience. Je suis demeurée à l’hôpital plus d’un mois. 

Papa avait promis de faire célébrer une messe d’action de grâce pour remercier Saint Joseph. Nous étions tellement pauvres que pour payer la messe, nous avons dû attendre au moins trois mois avant d’avoir cinq dollars. Toutes les économies étaient mises dans une petite boîte. Chaque enfant avait quelque chose à faire pour fournir afin de payer la messe.

Ma part était de garder trois heures dans l’après-midi, une personne âgée, notre voisine. Son fils travaillait et elle était seule. Je recevais vingt-cinq sous pour demeurer près d’elle. (Pour la regarder dormir.) Je trouvais parfois le temps bien long et je me levais doucement pour toucher au piano. Je ne devais pas appuyer trop fort sur le clavier, pour ne pas réveiller cette bonne dame. Je regardais mes frères et sœurs jouer et courir et moi j’étais trop faible pour jouer avec eux et partager leurs jeux. Chose étrange, j’avais assez de force pour garder la personne âgée !

Après plusieurs mois, nous avions économisé le cinq dollars pour la messe. C’est donc le premier juillet que toute la famille s’est rendue à l’oratoire Saint Joseph pour assister à la messe d’action de grâce. Vêtue de blanc, je disais : « Regardez Père Clément, j’ai mis ma petite robe blanche que je devais mettre pour être ensevelie. »

J’aimais porter cette petite robe, mais comme je grandissais, la robe devenait trop courte. Maman allongeait la robe avec un volant du même tissu. Quand j’ai cessé de la mettre, j’étais rendue avec trois volants ! Heureusement, car à l’âge de 82 ans, j’aurais plus de volants que de robe !

Pendant ce temps maman était toujours à l’hôpital, et moi je suis restée presque deux ans dans une famille où il y avait une belle grand-maman. Ses enfants étaient tous célibataires. Il y avait deux garçons et une fille. Jean le plus jeune, me berçait avant de dormir. Je pleurais et je m’ennuyais de mes parents et de mes frères et sœurs. Jean me racontait des histoires et il aimait beaucoup Sainte Thérèse. Puis un jour, il est décédé à l’âge de trente-trois ans. Je disais en le regardant : « Jean n’est pas mort, je le sais, il est si beau et ses yeux sont ouverts. » En effet avant de mourir, il a dit : « Qu’elle est belle ! » et il a gardé son sourire jusqu’à la fin. Il aimait tellement Marie et Sainte Thérèse.

Puis maman demande de me voir, car elle croyait que j’étais morte ! En effet, pendant près d’un an, elle était demeurée paralysée à l’hôpital et personne ne lui avait parlé de mon état et que je demeurais ailleurs. Cela avait été une demande du médecin. Mais de retour à la maison et voyant tous ses enfants, mais sans moi, elle me demande. Et c’est là qu’elle apprendra toute la vérité. 

On me fit donc venir. Les gens chez qui je demeurais m’ont amenée chez moi. J’étais si heureuse d’être enfin avec la famille. Mes petites sœurs me regardaient et me disaient : « Comme tu es belle, tu as une belle robe et tes cheveux sont si beaux. » J’étais gênée et j’avais honte de moi. Vient le moment du départ et je me jette dans les bras de maman. 

« Je ne veux plus partir, je veux rester avec toi. »  Maman disait : « Ma chère petite, il faut que tu partes demeurer avec M. et Mme Duhamel et leur famille, je ne puis te garder ici. Tu es trop malade et tu as besoin de soins et de bonne nourriture. Ici il n’y a que le nécessaire pour toute la famille. » Je lui dis : « Maman, comme cela je ne fais plus partie de la famille ? » et je pleurais ! 

À son tour maman pleurait : « Mais non, ma petite Mimi (nom que l’on me donnait toujours) tu as toujours ta place et une grosse place, seulement tu as besoin d’une nourriture spéciale pour devenir plus forte. » − « Mais maman, je suis prête à crever de faim pour rester avec toi, je m’ennuie de papa et de mes frères et sœurs. » La peine dans l’âme et avec un demi-sourire, je regardais maman avec les larmes dans les yeux. Papa n’était pas là. Seul Dieu était témoin. Mes frères et sœurs semblaient ne pas s’apercevoir de ce que je vivais.

Chez la Dame Duhamel, tous étaient très heureux de me revoir et la jeune fille disait à sa mère : « Regarde maman qui est là ! Notre petite Mimi, notre rayon de soleil, notre cher petit ange etc. »

Oui, un ange aux ailes basses, qui est dans la noirceur. Le plus difficile à vivre pour moi, était d’accepter les baisers, les caresses, les cadeaux de ces personnes. J’aurais voulu leur dire : « Laissez-moi la paix, je veux retourner dans ma famille. » Durant plusieurs jours, je ne voulais plus manger, ni parler, encore moins chanter, car la grand-maman aimait me faire chanter et apprendre à réciter des compliments comme le ‘Roi Boiteux’ ! ou ‘Quatre Doigts et Le Pouce en l’Air’! Cela n’était pas écrit par Chauveau (écrivain canadien) et ce n’est pas lui qui écrit en ce moment ! Et le soir dans la prière, je disais à Jésus : « Je vous donne mon cœur, prenez-le s.v.p. afin que jamais aucune créature ne puisse le posséder, que vous seul mon bon Jésus. » Et dans mon petit cœur, je ne voulais pas que personne m’aime, parce que ce petit cœur je le donne à Jésus.

          Après plusieurs mois, je reviens à la maison. Maman était si heureuse d’être avec sa petite famille et papa avait du travail. Nous pouvions donc manger à notre faim. 

Je me souviens, d’un certain temps, où nous n’avions presque plus de nourriture. Avec la permission du Père Curé s.j. le cuisinier A.G. venait nous apporter le soir, le reste de la nourriture des Pères Jésuites. 

Un jour maman va se confesser pour s’accuser d’avoir fait manger de la viande à toute sa petite famille un vendredi. (Car c’était défendu de manger de la viande le vendredi.) Le prêtre qui la confessait lui fit des reproches et la rendait coupable de ce péché et d’un ton très sévère lui demande : « Qui fait la cuisine chez vous ? »  Maman de lui répondre : « Ce sont les Pères Jésuites ! »  Et le bon père sursauta : « Comment les Pères Jésuites ? » − « Oui, Père, les Jésuites ! » Et elle lui explique la situation. Si nous avions mangé de la viande le vendredi, c’était les restes du jeudi soir qui nous étaient donnés par les Jésuites. « Chère enfant, dit-il, nous allons continuer à vous aider. Soyez courageuse ! »

Puis un jour, un prêtre vint à la maison rendre visite à mes parents. Il dit : « Tout va bien ? » − « Oui, Père, mais il y a ma petite Mimi qui est très faible, elle est souvent dans sa chambre et va souvent faire de longs séjours à l’hôpital. Voulez-vous, s.v.p. prier pour elle. » Et le Père demande : « Où est-elle en ce moment ? » Maman me cherche et me trouve. Je me suis cachée dans ma chambre, je ne voulais pas voir ce prêtre, je ne savais pas pourquoi !

Arrivée au salon, il me regarde : « C’est elle la petite ? Viens près de moi. », puis il ajoute : « J’ai quelque chose à demander à ta maman. Si elle te donnait la permission de venir me voir au presbytère, car j’ai une relique de Sainte Thérèse de L’Enfant-Jésus qui vient directement du Carmel de Lisieux, je pourrais te la faire baiser. Tu sais Sainte Thérèse est une grande sainte, elle pourrait te guérir. » 

Et regardant maman, il lui dit : « Vous lui donnez la permission ? »  Maman répond : «  Oui Père ! » − « Donc, écoute-moi bien, vendredi à une heure et demie, je serai là. » Et le vendredi, maman me prépare à l’heure pour partir. Au moment d’y aller, je ne voulais pas et je pleurais. Je ne veux pas y aller seule, maman viens avec moi, j’ai peur. « Mais voyons, ma petite Mimi, c’est un bon prêtre. Ne fais pas le bébé. Il va prier avec toi pour obtenir ta guérison. » Arrivée au presbytère, c’est lui qui m’ouvre la porte. «  Entre »  Je lui demande : « La ménagère n’est pas là ? » – « Non, je suis seul. Viens dans ma chambre, car la relique est là. » – « Pourquoi n’allez-vous pas la chercher, cela me fatigue de monter les escaliers ! » – « Non, non, nous allons monter très lentement. »  Il me prit par la main, je gardais le silence. Rendus à la chambre, il ferme la porte avec la clef et me regarde avec un sourire, je me sentais mal, mon petit cœur me faisait mal. Je voulais partir. 

Je lui demande où est la relique ? « Attends » Il voulait m’asseoir sur ses genoux car il avait enlevé sa soutane.  « Je ne te ferai pas mal. »  Il me prend de force et commence des attouchements sur moi. « Comme c’est bon »  disait-il, et il riait. Puis me serrant très fort sur lui, il me dit : « Ne bouge pas, je reviens. » Je pouvais à peine respirer ! Puis il revint, il avait remis sa soutane et était très nerveux. 

« Bon, maintenant baise la relique. Écoute-moi bien, tu dis à ta maman que tu as baisé la relique, je te défends de lui dire ce qui s’est passé car c’est un secret entre nous. Si tu veux que Sainte Thérèse te guérisse, il faut obéir, tu comprends. » À mon retour, maman me demande comment cela a été. Je réponds : « Mal ! » – « Voyons ma petite Mimi, ne parle pas comme cela d’un prêtre ! » Je me sentais coupable encore une fois. Je me demande encore pourquoi toutes ces choses.

Quelques temps après, j’apprends son décès, c’est-à-dire une mort subite. Trop jeune pour voir la gravité de tout cela, dans mon petit cœur d’enfant c’était très lourd à porter. Souvent je pensais à son âme ! 

Cependant, je ne pouvais admettre qu’il s’était passé quelque chose de grave, car pour moi, un prêtre ne pouvait jamais faire de péché. Après Dieu, c’était le pape et le prêtre. Nous avions appris à avoir un grand respect pour le prêtre, parce qu’après Dieu, c’était son représentant, c’est-à-dire le prêtre.

Pourquoi mon cœur est-il si troublé ? Si inquiet ? Qu’est-ce qui s’est passé de mal ? N’ayant aucune certitude, ne comprenant rien dans la situation je dis : « Maman Marie, je ne comprends rien, mais j’ai confiance en vous. Voulez-vous s.v.p. en parler à Jésus pour moi ? » Car je restais avec une certaine crainte devant un prêtre. Aujourd’hui je comprends qu’il (le malin) voulait me détruire très jeune, pour m’empêcher de me confier à un prêtre.

J’ai repris goût à la vie, cependant j’étais souvent malade. La période des opérations commence. Je ne pouvais étudier, ni aller à l’école. Je restais plus souvent à l’hôpital qu’à la maison. Puis un jour, maman fait connaissance avec un professeur de chant et de piano, Mlle A. Boyer. Maman l’invita à venir à la maison. Elle accepta avec joie car elle était célibataire et aimait les enfants. 

Maman lui raconte mes expériences avec le disque pour avoir un peu de musique. Elle a bien ri. Elle demande à maman si je pouvais chanter. « Chante-moi quelque chose. » Maman me dit : « Chante le beau cantique, tu le chantes si bien ! » Comme je commençais à ne pas aimer recevoir de compliments, je chante ‘Au Clair de la Lune’ au grand désespoir de maman. 

Malgré cela : « La petite a une voix très juste, mais pas forte. Si vous voulez, je peux lui donner des leçons de chant, de solfège. » Tout allait bien et j’aimais cela. Au clair de la lune a fait place à du chant plus sérieux. (C’est-à-dire j’étais moins dans la lune!)

Le professeur dirigeait une chorale avec les élèves, elle avait aussi une petite troupe de théâtre. Un jour, elle me donna un rôle pour jouer ‘La Petite Pauvresse’, j’étais dans mon élément et en souriant sur la scène, je perdis mon soulier ! Alors je dis tout bonnement : « Vous voyez que je suis pauvre, je n’ai qu’un soulier ! » Le public a bien ri car ce n’était pas dans le texte.

Un jour à la colonie de vacances, la directrice me demande de jouer le rôle de Sainte Jeanne D’Arc. Le jour de la représentation, d’après le texte, Sainte Jeanne D’Arc faisait ses adieux à ses parents et à ses amies, pour aller accomplir sa mission. J’avais tellement à cœur ce rôle que je pleurais abondamment, ne pouvant reprendre le texte. Après la représentation, quelqu’un me dit : « Vous avez bien joué votre rôle, vous allez devenir une grande artiste ! » Je la regardais en me disant : «  En ce moment, laquelle des deux est artiste ? » Car elle avait l’art de faire des compliments.

J’aimais jouer dans les pièces. Je tenais cela de papa. Il jouait pendant plusieurs années avec une troupe classique. Plus tard, je lui faisais répéter son texte. Durant ce temps il marchait continuellement, comme s’il avait été sur la scène. Pauvre papa, il en a fait des pas durant tout ce temps ! 

Un jour, comme il jouait au théâtre, sur la scène, il était bien dans sa peau et jouait avec ardeur. Il était à réciter la grande tirade de Cyrano de Bergerac, lorsqu’il étouffe subitement ayant un abcès à la gorge. On a dû interrompre la pièce, car papa avait le rôle principal, fini le théâtre !

Me voici rendue à l’âge de dix ans. Je continuais mes leçons de solfège et de chant. J’aurais aimé jouer du piano, je parle de cela avec le professeur. « Je veux bien, mais tu n’as pas de piano ! »

Papa voyant mon grand désir (il était artiste) décide de me faire un clavier sur du carton. Je voyais les notes blanches et les notes noires. Ma table était pour moi mon piano. C’est comme cela que j’ai appris le doigté et le son des notes était dans ma mémoire ! 

Le Père Fontaine s.j. voyant mon goût pour la musique me demande de faire partie de la chorale de l’Immaculée Conception (mixte.) J’étais la seule enfant pour chanter avec des adultes ce qui me causa beaucoup de peine car il y avait beaucoup de critiques et de la jalousie. « Elle est petite et elle ne connaît même pas ses notes ! C’est la petite blonde du Père Fontaine ! » Mes cheveux étaient blonds ! 

Puis un jour il y a eu une élection pour la chorale, car le Père Fontaine était âgé de 70 ans et avait besoin d’aide pour diriger la chorale, surtout pour les répétitions. Le vote a eu lieu et me voilà présidente et directrice. Le Père Fontaine était si heureux. Il disait : « Tu sais exactement ce que je veux, tu as la préparation nécessaire, comme secrétaire tu connais bien la routine. Dieu t’a donné un talent jusqu’au fond de ton âme ! »  Je le regardais en riant, car il voulait vraiment que je le remplace. Donc j’accepte. Le Père Fontaine me remercie et me présente pour être son assistante. 

J’avais quinze ans, mais j’étais assez grande pour mon âge et la plupart des membres étaient satisfaits du choix. Voilà que le Père Fontaine me demande d’adresser la parole. (J’aurais mieux aimé chanter que de parler.) « Mesdames et messieurs, j’espère être à la hauteur de ma tâche. Je compte beaucoup sur vous tous. »  Et à ce moment-là je tousse, ce qui a fait rire l’assistance. 

Puis je jette un regard sur les gens et dans le coin de la salle de musique, il y avait un groupe de personnes âgées. Une grand-mère, une mémère, une commère. Elles parlaient à voix basse et me regardaient étrangement. Le murmure résonnait à mon oreille comme des vagues de la mer en furie. Bon me voilà en pleine tempête de jalousie ! J’ai beaucoup prié et demandé à Dieu ce que je devais faire dans la situation présente. 

Le lendemain matin, je me rends au presbytère et demande le Père Fontaine pour lui donner ma démission. « Non et non, tu as accepté et il te faut continuer. » − « Je regrette Père Fontaine, je ne puis, je n’ai pas la force morale et physique pour continuer à me battre contre ces personnes. » Je suis restée simplement membre de la chorale pendant plus de vingt ans. J’ai quitté à cause de maladie. 

J’ai été opérée à l’hôpital Notre-Dame et j’y ai demeuré longtemps. La convalescence n’a pas été très longue, car à la maison il y avait du travail à faire pour aider maman qui était cardiaque. Elle avait besoin de repos. À ce moment-là, nous étions encore sept adultes. Beaucoup de lavage, seulement pour papa et mes trois frères, je devais laver et repasser et empeser vingt-quatre chemises par semaine. 

À cela s’ajoutait le linge des autres membres de la famille et l’entretien de la maison. Maman préparait les repas. Pâté chinois etc. (J’en ai tellement mangé! C’est peut-être pour cela que je repassais comme une chinoise !)

En écrivant cela, je me souviens d’un fait. J’accompagnais une religieuse de l’Immaculée-Conception. Nous faisions du porte à porte, pour recueillir des dons pour les missions. Donc une dame âgée demande à la religieuse : « Ma sœur est-ce que la petite fille qui est avec vous est une petite chinoise ? » 

Puis, la bonne dame me prend par la main me donne des sous et un gros baiser sur le front en disant : « Qu’elle est belle, pour une petite chinoise ! »  Et la religieuse me regardant l’air, répond : « En effet, elle est très belle. » 

Heureusement qu’aujourd’hui à 82 ans, j’ai perdu ma beauté chinoise !

Cependant, je prie beaucoup avec Sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus, pour les missions, et parfois la nuit, je ne puis dormir à peine quelques heures. Alors je deviens missionnaire du silence, cela me permet d’aller visiter les pays lointains par la pensée et la prière. (Même la Chine.)

         Maintenant une autre étape de ma vie s’ouvre devant moi. Me voilà dans une colonie de vacances portant le nom de Sainte-Thérèse de l’Enfant-Jésus. L’endroit s’appelait Contrecœur. Et la petite gare de campagne portait le nom de Lisieux. C’était une immense maison, pouvant abriter deux cents personnes, y compris le personnel, les pensionnaires et les fillettes de cinq à quinze ans dont j’avais la charge. Je travaillais fort de six heures le matin à dix heures le soir. Pas de salaire, mais j’étais nourrie et logée.

Pour nourriture, il y avait de la soupe avec de la mélasse, fromage avec pain et parfois tomates et l’éternel pâté chinois. Tous les jours comme repas principal, fèves au lard, ce qui provoquait dans le dortoir un bombardement au gaz naturel. (Vous savez ce que je veux dire !)

Je faisais la surveillance le soir au dortoir, quelques moments de silence, puis le son du corps se faisait entendre de nouveau. C’était des rires à ne plus finir. Heureusement que cela ne durait que deux mois durant les vacances !

Ce n’était pas facile d’appeler les fillettes pour la prière, car les grandes filles de douze à quinze ans, se cachaient dans le bois ou dans les cabines, pour ne pas assister à la messe et aux prières. Je leur faisais dire le chapelet et réciter l’acte de contrition avant le bain dans le fleuve Saint-Laurent. Puis un jour, les grandes filles me demandent : « Mlle, nous ne pouvons pas plonger, ce n’est pas assez profond. Voulez-vous vérifier ? »  

         Je me rends et j’avance au large du fleuve, je plonge et me voilà tombée dans un remous. Je tournais comme une toupie. Je levais les mains pour que l’on vienne à mon secours, mais les jeunes filles croyaient que je voulais rester le plus longtemps dans l’eau, et je les entendais compter un, deux, trois, quatre, jusqu’à dix. Et pendant ce temps, j’étais sous l’eau, ne pouvant remonter à la surface.

Alors, je lance un cri à la Sainte Vierge : « Maman, Maman Marie, viens à mon secours, aide-moi s.v.p. »  Et au même moment, j’ai senti deux mains me tenir par la taille et me soulever. Je repris mon souffle, pour continuer à nager vers la grève. Arrivée sur la grève, l’on me disait : « Vous êtes restée le plus longtemps sous l’eau ! Vous avez gagné le record ! » Je n’ai pas dit aux enfants ce qui s’était passé, car je ne voulais pas leur faire peur. 

La directrice était à Montréal pour une semaine et j’avais la responsabilité de la colonie. Heureusement que Dieu était avec moi et Marie présente. Aujourd’hui je constate la grande protection du Ciel.

           Et un jour l’évêque du lieu, a nommé un aumônier, pour faire du ministère dans cette maison. Il y avait une grande chapelle. Chaque jour nous avions la messe, célébrée par Monsieur L’Abbé Blaise Émile Pleau, supérieur du collège de l’Assomption où il y avait trois cents élèves. Prêtre très pieux, il demeurait avec un enfant de chœur, dans un petit chalet au bas de la côte, près de la route. Et s’il y avait quelque chose, peur, accident, maladie, incendie, nous avions recours à ses services. Lorsqu’il entendait sonner la cloche, il venait rapidement avec son enfant de chœur, pour aider.

Puis un jour après la messe, il me dit : « J’ai à te parler ! Il y a quelque chose chez toi. Tu souris et parfois tu as des larmes dans tes yeux. »  Je réponds : « Je n’ai rien à dire. » Lui de répondre : « Tu n’as rien à dire, mais beaucoup à porter. Si tu as besoin d’aide, je suis là. »  Puis il ajoute : « Tu sais depuis trois jours à la messe, je suis inspiré à prier pour toi. »

Le lendemain après déjeuner, il me dit : « Tu sais, j’ai bien réfléchi et j’ai décidé de rester ici durant la journée, pour t’aider, et le soir après la prière, je retournerais au chalet pour la nuit. La responsabilité que tu as, est trop grande pour toi, tu as besoin de repos. Va te reposer au dortoir pour une heure. Je ferai la garde, je suis habitué! »

Il commençait par la récitation du chapelet, devant le Saint-Sacrement. Il leur apprenait à chanter des cantiques. 

Puis c’était des jeux, il racontait des histoires. Je pouvais me reposer un peu. À mon retour, les petites filles étaient heureuses de me raconter tout ce que Monsieur l’Abbé Pleau leur avait enseigné. Je remerciais Dieu de l’avoir placé sur mon chemin pour m’aider, surtout d’avoir permis aux petites filles, de s’exprimer, de prier. Il faisait de la direction pour les plus grandes. 

Puis le dernier mois des vacances, il me donnait des conseils et m’aidait auprès des petites filles. Le dernier jour il me donna son adresse au Collège de l’Assomption, et son numéro de téléphone et ajouta : « Si tu as besoin de moi, ne te gêne pas ! »

Revenue à Montréal, après les vacances, il me téléphona pour me dire qu’il était à Montréal pour rendre visite à sa sœur religieuse, chez les Sœurs du Bon Pasteur, religieuses cloîtrées. Et il me demanda d’aller le rencontrer à la prison des femmes, rue Fullum. À ma grande surprise, je lui réponds : « Moi, aller à la prison des femmes ? Pourquoi? Je ne veux pas ! » − «  C’est le seul endroit où je peux te rencontrer, parce que ma sœur est supérieure de la prison ! »  Donc je me décide et me voilà à la porte de la prison. Je sonne. Un policier vint m’ouvrir et me demande ce que je voulais. Je lui demande de voir Monsieur l’Abbé Pleau, et j’ajoute que j’ai un rendez-vous. Il me fit entrer dans un bureau, où je suis questionnée, nom, adresse, parents, où je demeurais, carte d’identité. Puis un gardien me dit. Suis-moi, puis il se retourne un instant, il téléphone à la réception de la prison, pour m’ouvrir la porte, puis m’accompagne. Quelques instants après, une religieuse voilée me dit : « Suivez-moi s.v.p. » 

Après avoir marché dans un long couloir, elle frappe à la porte du bureau. Monsieur l’Abbé Pleau ouvre et me dit : « Entre » C’était très impressionnant. Dans le fond de l’appartement un long mur avec un grand rideau noir ! (Je me croyais dans un salon funéraire.) Il se lève et tire le rideau, il y avait une grille où les religieuses venaient pour rencontrer Monsieur l’Abbé Pleau. Puis me faisant la direction il me confessait.

Un jour il me dit : «  J’ai une surprise pour toi ! Ma sœur religieuse veut te connaître ! » Et voilà sa sœur était là. Nous avons causé longuement et elle m’invita à venir lui rendre visite. La première année ce n’est pas facile d’aller la visiter. Mais pendant dix ans, une fois par mois, je me rendais à la prison, pour ma direction. 

Durant l’été, j’allais à l’école Normale de Saint-Jérôme, car Monsieur l’Abbé Pleau remplaçait l’aumônier. Puis un jour, la sœur de Monsieur l’Abbé Pleau, meurt. Il me demande d’aller la voir et de prier. Ce n’est pas facile, car elle était exposée dans le cloître. J’ai eu la permission. Seule avec elle, dans une chambre, elle était placée sur des planches recouvertes d’un drap blanc. Une grande croix, un grand cierge allumé, une couronne de roses sur sa tête, elle tenait une couronne d’épines avec son chapelet et avait les pieds nus. Durant trois heures, seule avec elle, je priais sans cesse et je la regardais. Il me semblait que les orteils bougeaient. J’ai commencé à avoir peur, la porte était fermée ! Quand la religieuse est venue me chercher, j’étais à moitié morte de peur, et je n’étais pas encore sortie de la prison. Cela était plus facile car on me connaissait maintenant. Mais revenue à la maison, mes parents étaient très inquiets. D’où viens-tu, me demanda papa. Je réponds simplement : « Je viens de la prison. »  Cela a fait rire tout le monde.

Un dimanche soir, Monseigneur Beaudry me téléphone du collège de l’Assomption, pour me dire que Monsieur l’Abbé Pleau était décédé. C’est une bien grande épreuve pour moi, plus de directeur de conscience. Il m’avait aidée, car c’était un prêtre de Dieu, et il aimait beaucoup la Vierge Marie. Il est mort durant la récitation du chapelet avec des confrères. Il eut un malaise. Le supérieur lui dit : « Vous allez à l’hôpital ! »  L’Abbé Pleau le regarde, lui montre son chapelet et dit : « Je ne suis pas seul, cela ne vaut pas la peine, » et il mourut comme cela en ayant reçu l’onction des malades.

Je n’avais pas d’argent pour faire le voyage. Je n’ai pu assister à ses funérailles. Une autre croix à tant d’autres. Je me sentais désemparée, je cherchais un directeur de conscience, j’avais besoin d’aide.

Un jour, je demandais à Dieu de me faire trouver un prêtre selon son Cœur. Je me rends à l’église  à l’heure des confessions, puis je me décide d’aller me confesser. J’entre dans le confessionnal, je commence ma confession. Je n’avais pas terminé et le prêtre me dit : « Chère enfant, vous vous confessez comme la petite Thérèse de l’Enfant-Jésus. » En entendant cela, je sors en courant du confessionnal, et le prêtre de sortir de son confessionnal en disant : « Petite sœur, petite sœur. » Je vous dis que la petite sœur est sortie très vite de l’église. 

Une autre fois, je me présente au confessionnal, pour me confesser, et le prêtre me demande : « Mon enfant quel est ton nom ? »  Je réponds : « Mon nom n’est pas un péché ! » Et je sors de l’église encore une fois. Chaque semaine, j’allais me confesser. J’ai cherché un directeur pendant plusieurs années, puis un jour, j’ai rencontré l’Abbé Paul Godin. 

C’était un jeune prêtre avec beaucoup d’expérience en direction spirituelle. Un prêtre qui avait une très grande foi dans son sacerdoce. Il a dirigé mon âme pendant dix ans.

Un jour, je me souviens, j’étais dans le confessionnal et en sortant j’ai vu Monsieur Villeneuve caché derrière une colonne. Alors je suis rentrée de nouveau dans le confessionnal. Monsieur l’Abbé Godin ouvrit la grille et me demande : « Avez-vous oublié quelque chose ? »  Je lui réponds : « Non. J’ai besoin d’aide. »  − « Êtes-vous malade ? » − « Non, mais j’ai besoin de protection, car dans l’église, il y a un homme qui me cherche. Il est dangereux, c’est un grand malade mental et de plus il porte une arme. Il a son permis pour avoir cette arme. Il est journaliste. » C’était un ami de papa. C’est un homme très intéressant. Il était chez les Jésuites et il a dû quitter pour cause de santé mentale.

Papa le prenait en pitié. Il venait souvent à la maison. Puis un jour, il demande la permission à papa de m’amener voir un film sur la Passion de Jésus. Je faisais signe à papa, non ! Papa de lui dire : «  C’est bien, mais il ne faudrait pas rentrer tard ! Ma fille a besoin de sommeil. » − « Monsieur Faniel faites-moi confiance, aussitôt le film terminé, nous serons de retour. » Nous sommes partis en taxi. Voilà, rendus au théâtre, le film commençait. Comme je regardais le film avec une grande déception d’être avec lui, je gardais le silence. Je sentais qu’il s’approchait un peu de moi pour me regarder. Il me dit tout bas : « Voulez-vous me donner votre main ? » Je lui demande pourquoi faire ? Il me dit pour ceci et il me prend la main et me met un crucifix, son crucifix de jésuite, puis il me tenait la main bien serrée. Je veux me dégager car j’avais la main engourdie, mais pas moyen ! Le film a duré deux heures. Le voyage de retour s’est fait en silence. 

De retour il dit à papa : « J’étais très heureux ! Merci Monsieur Faniel. » Après son départ, papa me demande : « Et toi, ma petite, comment as-tu aimé cela? » − « Papa, tu sais le film était très intéressant et très bien, mais c’est la dernière fois que j’accompagne ton Monsieur Villeneuve. » Papa sursaute. « Comment mon Monsieur Villeneuve ! Qu’est-ce qu’il t’a fait, pour parler de la sorte ? » − « Je n’aime pas sa manière d’agir ! »  Papa me dit : « Explique-toi, je te prie. » Bien voilà. Je lui raconte tout. Papa de répondre : « Il a beaucoup d’épreuves, il a besoin de pitié. » − « Mais papa, il n’a pas besoin de pitié, il a besoin d’être soigné et c’est urgent je crois ! » Il continuait de venir à la maison, je laissais le salon et j’allais dans ma chambre pour ne plus le voir.

Puis un jour, je revenais de l’église. Je rencontre le Père Gamache et le Père Curé tout souriant. Il me tend la main en me disant : « J’ai appris ton mariage et toutes mes sincères condoléances ! » Je le regardais toute surprise. « Mon Père, que m’annoncez-vous ? Mon mariage avec qui ? » − « Bien voilà, il est venu à la paroisse, de plus il est resté à souper avec nous car disait-il j’ai une très grande nouvelle à vous annoncer. Le huit juillet prochain, je vais épouser Mlle Georgette Faniel, ici même à l’église de l’Immaculée Conception. C’est une grand-messe avec diacre et sous-diacre. Il y aura beaucoup de monde et comme ancien professeur de théologie, j’invite mes élèves et mes confrères. »

En écoutant ce récit, je pleurais ! « Est-ce possible ? »  Et le Père Curé me dit : « Voyons Mimi, ne pleure pas ! Je t’ai dit ces choses-là pour te faire rire un peu. C’est tellement drôle. » − « Oui Père, lui dis-je, c’est peut-être drôle pour vous, et non pour moi ! » Je craignais pour sortir. Le Père Gamache me dit : « Venez à la messe demain, tout va bien aller. »

Le lendemain matin, je partais pour aller à la messe. Je remerciais Dieu de sa protection. Je montais les marches pour entrer à l’église. Il y avait beaucoup de monde. Il y avait deux escaliers, que je montais avec peine et misère. Rendue au deuxième escalier, je sens dans mon dos une arme ! C’était Monsieur Villeneuve! « Je veux vous parler et c’est très important. Après la messe, je vous attends sur la rue Papineau. C’est bien n’est-ce pas ? » 

Nous étions entrés dans l’église et je lui fais signe de ne pas parler ! Je me place dans le premier banc. J’attends quelques secondes et je me retourne. Il se dirige vers l’arrière de l’église, rue Papineau. Je profite de l’occasion pour sortir et je me dirige vers le presbytère.

Je demande à voir le Père Gamache et je raconte le tout. « Bien, dit-il, vous n’allez pas à la messe. » − « Mais Père, lui dis-je, c’est dimanche! » − «  Je le sais et j’en prends la responsabilité. C’est plus urgent de vous protéger. Je vais aller vous reconduire chez vous. » J’étais gênée de déranger le Père Gamache. Maman me regarde et me dit : « Tu es bien pâle, qu’est-ce que tu as ? » − « Ce n’est rien, ne t’inquiète pas maman ! J’ai simplement besoin de repos ! » (Repos de l’esprit, ce n’était pas le repos dans l’Esprit.)

Une heure après le Père Gamache me téléphone, me disant de ne pas sortir, car le Monsieur Villeneuve s’était caché dans la chapelle des Pères Jésuites, face à ma demeure, et comme cela il pouvait me voir sortir pour me suivre.

Le Père Curé, le Père Gamache et le Père Supérieur lui ont demandé de sortir et de ne plus jamais revenir. Monsieur Villeneuve était humilié, il fit une colère, voulant frapper sur les personnes. Il répétait sans cesse : « Je l’aime, je veux l’épouser, je vais aller l’enlever, etc.! »

Le supérieur prit alors la décision de l’envoyer à l’hôpital, car il était en état de choc. Quelques jours après, j’apprends qu’il était maintenant à l’hôpital Saint Jean-de-Dieu, hôpital pour les malades mentaux. J’étais moins craintive, je pouvais sortir un peu. 

Un jour, je reçus une lettre de vingt pages me disant qu’il aurait un congé de trois jours, pour venir m’épouser. Pendant huit jours, je recevais des lettres d’amour. (Amour féroce !) Papa décide d’avoir la paix ! Il envoya une lettre d’avocat à l’hôpital leur demandant d’avoir plus de surveillance auprès de Monsieur Villeneuve.

Trois jours plus tard, je recevais la visite d’une religieuse, c’était sa sœur. Elle était supérieure de sa communauté. Elle avait dans ses mains les lettres de son frère Monsieur Villeneuve. « Mlle Faniel, vous n’avez rien à craindre, mon frère Monsieur Villeneuve est très malade. Il souffre du cancer du foie, et de plus il n’a plus sa raison ! Il en a pour une semaine à vivre. Je viens vous rassurer et vous demander des prières pour lui et pour moi. Vous savez c’est une grande épreuve pour une famille. Mon père était échevin et pendant une grande assemblée politique où il adressait la parole, il ne savait plus ce qu’il disait. Il est décédé plusieurs années après sans retrouver l’usage de la raison. Pour ma part,  me disait-elle,  moi aussi j’ai eu à subir cette maladie durant plusieurs années. Et à ce moment-là, j’étais supérieure générale ! »

Au même moment, je la regardais, en me disant : « Est-ce qu’elle est bien guérie? » Il est décédé en disant que j’étais son épouse. Et moi je devenais veuve sans le savoir ! Il n’avait plus sa raison, c’est pour cette raison qu’il a dit cela. 

Je me souviens un jour, à l’occasion de ma fête, il me donna un beau chapelet blanc et les « Gloire soit au Père » étaient faits avec ma pierre de naissance, c’est-à-dire les rubis. J’étais si heureuse d’avoir ce chapelet ! Je demande au Père Gamache de bien vouloir le bénir. Puis il me répond : « Je vais le bénir, avec une bénédiction spéciale. » − « Merci Père Gamache. » Il me rend le chapelet et il me dit : « Vous allez le donner à la Sainte Vierge dans l’église. » − « Oui Père, je vais dire un chapelet et je vais vous le remettre. »  Le Père Gamache me dit : « Je ne vous ai pas demandé de réciter ou de prier sur ce chapelet, je vous demande d’obéir et tout de suite ! »  Quel ton ! Il me regardait avec des yeux sévères et un regard fixe. Ce n’était pas le regard du Bon Pasteur, ni de l’agneau si doux. Il n’a pas eu besoin de m’ouvrir la porte pour sortir !

En quelques secondes j’étais dans l’église près de l’autel de Marie, et le frère sacristain me voyant pleurer me demande : « Êtes-vous malade ? » − « Non, Frère Bédard, j’ai seulement de la peine. » Et je lui demande de placer le chapelet près de Marie, à ses pieds. Il prend le chapelet et le place dans les mains de Marie et non pas à ses pieds. Je remercie Dieu d’avoir inspiré le Frère Bédard à poser ce geste délicat. Marie a dû lui faire un signe. 

Maintenant je pleurais de joie, et chaque jour je faisais une heure sainte et le chemin de croix. Je méditais longuement avec Marie, tout en voyant mon chapelet. Dieu me dirigeait par bien des chemins, pas toujours faciles. 

C’est pour cette raison que j’ai appris à dire et redire : « Mon Dieu que ta Volonté soit faite! »

Maintenant, c’est ma sœur qui a besoin d’aide, car elle a subi plusieurs opérations. Elle a eu cinq enfants. Deux sont décédés, un à l’âge de dix mois (H) et (G) a vécu que cinq heures. Donc je prenais soin de ma sœur et de ses petites filles (J, D, L.) Mon beau-frère était un homme très autoritaire et très nerveux. Mais avec moi, il était très gentil, très poli. Toujours le beau sourire, avec compliments. Son attitude me faisait souffrir beaucoup. Je voyais comment ma sœur M. souffrait par lui. Il la traitait comme une vraie esclave, elle qui était malade. Jamais de merci et il riait d’elle. « Regardez ce qu’elle a l’air. Si au moins elle était comme toi. » Je ne pensais pas les mêmes choses. Ma sœur endurait tout sans rien dire. J’avais de la peine.

Elle a vécu cela pendant plus de cinquante ans. Elle priait beaucoup pour lui. Ses prières et sacrifices ont été exaucés, car il est mort en demandant pardon à Dieu et à son épouse. Elle était très pieuse et je l’aimais bien. 

Plus tard, c’est moi qui avais besoin d’aide. Pendant vingt-huit ans, elle venait tous les jours m’aider à prendre soin de mes parents. Aujourd’hui, elle a quatre-vingt-huit ans, très malade. Les médecins se demandent ce qui la tient en vie. Je pourrais leur répondre : « C’est son cœur de prière. » Et chaque jour j’offre à Dieu sa souffrance en union avec la souffrance de Jésus et aux douleurs de Marie. Le détachement est bien grand pour moi, je n’ai pas la force pour aller la voir à l’hôpital. Cependant ma nièce, sa fille, va la voir tous les jours à l’hôpital, pour rester avec elle, sa présence est précieuse. 

Me voilà encore malade, rien de nouveau. Opération pour l’appendicite, avec complications : deux mois à l’hôpital. Un jour le médecin entre dans ma chambre avec quatre confrères, pour faire un examen complet. 

Puis il dit : « Regarde son épaule gauche, il y a une cicatrice! » Donc il me demande : « Madame voulez-vous me dire d’où vient cette cicatrice ? » Je ne voulais pas lui dire et je le regarde avec de grands yeux et toujours je garde le silence. C’était la plaie de l’épaule gauche que Jésus demandait d’honorer. Voyant mon silence, il dit à un confrère : « Cette personne n’a pas l’air lucide. » 

Au même moment la porte de la chambre s’ouvre et un médecin très grand et très beau entre en disant : « Bonjour docteur, vous avez un problème ? » Le médecin répond : « Oui docteur nous avons un cas spécial, la personne ne me semble pas en état de répondre. » Le jeune médecin s’avance, regarde l’épaule et dit en riant : « Ne vous en faites pas, c’est une ancienne cicatrice sans importance. » Puis il repart avec le groupe de médecins. 

L’infirmière revient. Je lui demande : « Garde, quel est nom du nouveau médecin? » − « De quel médecin parlez-vous ? » Je lui explique le grand médecin aux cheveux blonds, etc. Elle riait. « Vous voulez me jouer un tour ? » − « Non garde, je suis sérieuse ! » − « Je vous assure que je n’ai pas vu de nouveau médecin! » Merci mon Dieu pour le médecin invisible ou l’ange gardien qui a pris ma défense.

Puis une autre fois, je devais sortir pour aller acheter de la nourriture. Maman me dit : « Je suis inquiète de te voir sortir, tu n’es pas forte, tu sais. » − « Prie pour moi! Cela ne sera pas long ! » Puis, je partis. En bas de l’escalier, il y avait un gros chien, couché sur la première marche. Je descends, il se lève, me regarde. Je le regarde et lui dis : « Comme tu es beau ! Tes yeux et ton regard si impressionnants. Non ce n’est pas possible d’avoir de si beaux yeux et être un chien. » Il semblait comprendre ce que je lui disais. Il s’approcha de moi et lécha ma main. 

Puis, je continue mon chemin, il marchait à mes côtés, puis rendue à la rue Marie-Anne, je devais traverser la rue et voilà qu’un gros camion se lance vers moi. C’est le chien qui se place devant moi et est frappé et blessé.

Revenue de mes émotions, je cherche le chien, il marchait en boitant. Il était déjà loin. Je continue à marcher pour me rendre au magasin et quelle ne fut pas ma surprise, en sortant du magasin de voir le chien qui était là. Je le caresse en lui disant merci, puis il m’accompagne jusqu’à la maison. Je lui dis : « Attends-moi, je vais aller chercher un peu de viande pour te récompenser. » 

Arrivée dans le salon, maman me dit : « Que tu es pâle ! Qu’est-ce que tu as? » Je lui raconte ce qui s’était passé, elle pleurait en sanglots. Je la prends dans mes bras. « Ne pleure pas maman, je n’ai rien, je ne suis pas blessée. C’est le chien qui m’a protégée ! » Maman me dit : « Non Mimi! C’est parce que j’avais demandé à Dieu de te protéger en envoyant un ange ! » C’est pour cela que je trouvais qu’il avait de si beaux yeux pour un chien !

Dans une autre occasion, je voulais faire un pèlerinage à pied à l’Oratoire Saint-Joseph. Au lieu de marcher dans la rue, je décide de prendre un raccourci en marchant à travers la montagne, tout en priant. Il n’y avait presque pas de maisons. Après une demi-heure de marche, je n’avais rencontré aucune personne pour me distraire durant mon pèlerinage. 

Voilà qu’une automobile arrive en toute vitesse, deux hommes descendent pour me faire entrer de force dans l’automobile. Je ne voulais pas et j’avais peur. Au même moment, un gros chien arrive et saute sur un des deux hommes. 

Il l’a mordu et l’autre a eu assez peur qu’ils m’ont laissée partir. Encore une fois, merci mon Dieu, merci mon bon ange, merci mon chien. 

Ce n’était pas le même chien qui m’avait déjà protégée car je le regardais dans les yeux. Son regard était d’une grande bonté, malgré sa grosseur imposante. De loin il paraissait, comme un ours ! Il était tout noir. Encore merci mon Dieu. Je n’ai rien dit à mes parents de ce pèlerinage car je crois qu’ils m’auraient mise en cage pour me protéger.

Un jour, il faisait très beau ! C’était en hiver et ma sœur demande à maman de me laisser aller avec eux. Nous partons, ma sœur et son fiancé, mon frère et moi. Nous allons au parc Lafontaine glisser en traîne sauvage. Elle est assez longue pour quatre personnes. Permission accordée.

Arrivés à l’endroit, le fiancé de ma sœur se place le premier pour conduire la traîne sauvage, puis ma sœur, mon frère et moi. Les trois personnes étaient toutes d’un poids assez impressionnant. (150-125-175 livres). Moi, je pesais environ cent livres. Donc, nous voilà partis en grande vitesse. La côte était tout en glace et la traîne saute dans le lac artificiel. Me voilà projetée dans un banc de neige et la traîne continuait à une grande vitesse avec les trois occupants, moi j’étais toujours dans la neige. Enfin ils me trouvent très souffrante, incapable de bouger. J’étais à peine à dix minutes de l’hôpital Notre-Dame, mais ils décidèrent de me reconduire à la maison et ils étaient tous mal à l’aise.

On me demande de ne rien dire aux parents au sujet de l’accident ! On me place couchée sur la traîne sauvage pour le retour à la maison. Je devais monter quarante et une marches, car il y avait deux escaliers. 

Mon frère et mon beau-frère me porteront dans leurs bras.  Maman demande : « Est-ce que vous vous êtes bien amusés ? » Personne ne répondait et maman me regardait et dit : « Mimi tu as l’air bien souffrante ! » Quelqu’un répond : « Elle est fatiguée. Je vais l’aider à se coucher. » Je souffrais tellement que je croyais mourir ! Je disais : « Mon Dieu, aidez-moi s.v.p. » Puis intérieurement j’entendais : 

« Je suis là avec toi. »

Je reprenais courage. Aujourd’hui, je remercie encore Dieu de m’avoir aidée à tout offrir par amour. Mes parents sont décédés et jamais je n’ai confié ce secret à personne. Seulement après quinze ans de souffrance que l’on découvre le mal à la suite d’une paralysie totale. Opération urgente pour hernie discale. J’ai dû demeurer deux mois à l’hôpital et la plaie n’était pas encore fermée. Encore beaucoup de souffrances !

Mais ma souffrance morale était beaucoup plus grande que ma douleur physique. Lorsque j’ai dû quitter maman pour me rendre à l’hôpital, je lui avais dit : « Ne t’inquiète pas, je vais revenir bientôt ! » Chaque jour, maman me téléphonait à l’hôpital pour avoir de mes nouvelles. Le médecin de maman avait demandé le silence sur mon état. Après une ponction lombaire faite par le Docteur Martinez, l’opération était urgente. C’est le Docteur Rinfret qui opéra. Une religieuse priait Mère Marguerite D’Youville pour obtenir ma guérison. Après l’opération, la religieuse dit au Docteur Rinfret : « Nous avions confiance d’avoir un miracle pour notre Mère D’Youville. » Le Docteur Rinfret lui dit : « Mais ma sœur, il y a eu un miracle. Elle n’est pas morte ! Ne me demandez plus de faire de miracle. »

Avant l’opération, maman me téléphonait tous les jours pour avoir de mes nouvelles ! Le lendemain de l’opération, maman me téléphone pour me parler. L’infirmière lui dit : « C’est impossible ! » Et maman insiste. Je fais un signe, pour quelques instants, car je connaissais l’état de santé de maman et son inquiétude.    L’infirmière tenait le téléphone, car je recevais une transfusion de sang et deux sérums et couchée sur le côté droit. Je n’étais pas à l’aise pour parler.

Je demande encore à Dieu de m’aider. Alors je dis : « Bonjour maman, comment vas-tu ? » Maman me dit : « Il n’est pas question de moi, parle-moi de toi car je suis inquiète. Personne ne me donne de tes nouvelles, pas même le Père Gamache ! Et moi, je ressens quelque chose. Mimi dis-moi la vérité ! » − « Maman ne t’inquiète pas, tout va bien. J’ai hâte de te revoir et je t’aime. » L’effort était de trop pour mon état et me voilà inconsciente.

Après deux mois, je reviens à la maison en automobile accompagnée de mes deux frères et du Père Gamache. Le Père Gamache ne voulait pas que je revienne en ambulance, il craignait pour maman que le choc soit fatal, car elle ignorait tout de l’opération et souffrait du cœur. Je regardais l’escalier à monter et je dis : « Mon Dieu, aidez-moi s.v.p. Je n’ai pas la force pour faire l’effort pour monter. » Je me sentais si faible. Mon frère dit : « Prends ton temps ! » Et à chaque marche je devais me reposer un peu.

Enfin arrivée, maman voulait me prendre dans ses bras et le Père Gamache dit non, attendez un peu, elle ne doit s’asseoir que sur une chaise droite. Maman de dire au Père Gamache : « Pourquoi ne pas l’asseoir dans le fauteuil ? » Le Père Gamache de lui répondre : « Non, je ne veux pas, parce que c’est vous qui allez-vous asseoir dans le fauteuil ! » 

Maman le regarde avec de grands yeux, puis me regarde : « Qu’est-ce qu’il y a ? »  Et le Père Gamache dit : « J’ai quelque chose à vous annoncer. Votre petite Mimi a été opérée pour la colonne vertébrale et c’est pour cette raison qu’elle ne peut s’asseoir dans un fauteuil. » Maman se met à pleurer en sanglots. Le Père Gamache dit : « Allons Madame Faniel, ce n’est pas le temps de pleurer, elle n’est pas morte. Au lieu de pleurs, dites merci à Dieu de l’avoir gardée encore parmi nous. »

La convalescence a été très longue. Heureusement le Père Gamache venait tous les jours me faire communier. C’est tout ce qui comptait pour moi, c’était ma seule raison de vivre ! Depuis plusieurs années, Jésus se faisait silencieux. Mais depuis l’opération, j’entendais toujours : « Je suis là ! » Je reprenais courage !

         À partir de ce jour, ma vie a changé, car je me rappelais ce que le médecin me disait après l’opération pour ma colonne : « L’opération n’a pas été un succès, car il était trop tard. Je dois vous dire la vérité. Vous allez rester invalide et recevoir une pension de 26$ par mois. » À ces mots, je pleurais, finies les activités, finie la musique et à quoi va me servir ma licence en musique ? J’ai étudié la musique pendant dix ans pour rien ! Chaque fois que je pensais à cela je pleurais. 

Ne pleure plus. Puis un jour, j’entendis ceci : « Ne pleure plus car au Ciel tu ne seras pas invalide. » Je compris ce message et je devais accepter la Sainte Volonté de Dieu sur moi. C’est-à-dire marcher dans le chemin de la souffrance jusqu’à la croix. Renoncer à tout ce que j’aimais et voulais faire avec mes pauvres petits moyens.

Malgré cette grande faiblesse, je devais prendre soin de ma chère maman et me forcer pour ne pas me plaindre ni ne paraître souffrante. 

Les autres membres de la famille voulaient placer maman dans un foyer et moi à l’hôpital. Un soir il y a eu une réunion de famille pour prendre une décision et ils étaient tous d’accord pour nous placer. Maman était près de moi et pleurait. Je me lève avec détermination et je prends maman dans mes bras et je leur dis clairement ce que je pensais. Vous n’avez aucun droit sur maman, car c’est moi qui demeure avec elle et qui en prends soin.

J’ai l’aide de ma pensionnaire Mlle Louisa Garant. Cette personne demeure avec nous depuis quelques mois et ça va bien. La discussion fut close ! Après la mort de maman, Mlle Louisa Garant demeura avec moi pendant vingt-neuf ans et était âgée de quatre-vingt-neuf ans. Mais les dix dernières années, les rôles étaient changés. C’est moi qui en prenais soin. C’était très difficile, car elle était de moins en moins lucide et demandait beaucoup de soin et d’attention ainsi que de surveillance. La nuit, elle voulait sortir de la maison pour aller chez sa mère. 

Un jour elle me regarde en criant : « J’ai peur de vous ! » Je voulais m’approcher d’elle, mais elle criait encore plus fort en disant : « J’ai peur de vous ! Vous êtes laide et vos yeux sont méchants. » Puis elle fermait sa porte de chambre et déplaçait les meubles devant sa porte pour que je ne puisse entrer. Elle cachait son argent, puis elle oubliait et m’accusait d’avoir volé son argent. Je passais des heures à chercher son argent. Je demandais à Dieu de m’aider à retrouver l’argent. Au début c’était assez facile car il y avait trois endroits, sous son lit, dans le deuxième tiroir à droite, dans son sac à main. 

Puis un jour, en colère elle m’accuse de nouveau d’avoir pris l’argent de son chèque au montant de neuf cents dollars. Il y avait des gens avec moi et tous m’ont aidée à chercher. 

J’étais tellement épuisée que je me suis assise dans le fauteuil et je priais Dieu de m’aider à trouver l’argent. Tout à coup, mon regard se fixe sur la fenêtre, la toile était baissée et je remarquai que la corde et l’anneau n’étaient plus là. Comment elle avait fait pour descendre la toile ? Je m’approche pour voir et remettre tout en place. Surprise ! Est-ce possible ? Elle avait enlevé la petite baguette de bois qui retenait la corde et l’anneau et avait placé l’argent tout roulé comme des cigarettes. Il y avait bien neuf cents dollars.

Merci mon Dieu ! Lui seul pouvait m’aider à trouver le tout. Cela a duré des années. Je crois que si j’avais eu une autre chambre à louer, je l’aurais louée à Arsène Lupin.

Un jour la sœur de Mlle Garant est venue la chercher pour aller passer quelques jours chez sa nièce à Ottawa. Sa sœur, avant de partir, me demande de lui remettre le sac à main de Mlle Garant. Mais je ne savais pas que Mlle Garant avait placé son testament dans son sac à main. 

Le lendemain, son neveu vint chez moi chercher le linge de Mlle Garant, en me disant qu’elle demeurait chez lui. Et il ajoute : « Elle a besoin de sa famille pour vivre, et nous avons besoin de sa présence car nous l’aimons. » Je ne comprenais plus rien, car pendant vingt-neuf ans, aucun membre de sa famille n’avait donné signe de vie. Mlle Garant n’est jamais revenue !

Quelques jours après, son neveu revint à la maison pour me dire que j’avais influencé sa tante à faire un testament. Il voulait me traduire en justice parce que sa tante avait donné deux mille dollars aux Pères Jésuites pour des messes. « Vous êtes responsable de tout cela ! »

Je lui dis : « Quand votre tante Mlle Louisa Garant a fait son testament, je n’étais pas avec elle. J’étais avec deux amies dans le salon. Ces deux personnes sont témoins que je n’étais pas avec votre tante. Mlle Louisa Garant était avec le notaire et deux témoins. Moi aussi, je peux vous accuser car Mlle Garant n’est pas morte ! Qui vous a donné la permission d’ouvrir et de lire le testament ? C’est très grave ! »

Il criait en disant : « Je n’ai pas ouvert le testament. Non ! Non ! » − « Alors, comment se fait-il que vous savez que Mlle Garant avait donné deux mille dollars aux Pères Jésuites pour des messes et que les trente-deux mille dollars qu’il restait étaient donnés à votre épouse, sa nièce, pour qu’elle prenne soin de Mlle Garant, sous prétexte, qu’elle avait besoin de sa famille et que vous l’aimiez ? C’est juste un tissu de mensonges. Quand vous êtes venu la chercher chez moi, après vingt-neuf ans, pour la conduire chez vous, vous m’avez dit : « Elle va être heureuse de vivre avec sa famille. »

Vous avez gardé Mlle Garant un mois et vous l’avez placée dans un foyer. Vous êtes revenu à la maison pour me demander de reprendre Mlle Garant, car elle était malade et pleurait beaucoup. Elle voulait revenir chez moi. » Il (neveu) voulait que je la garde quelques jours et après la placer dans un foyer. Alors Mlle Garant ayant resté à Montréal depuis trente ans, le gouvernement aurait eu à payer pour elle (service social) et son neveu et sa nièce auraient gardé l’argent.

J’ai refusé de la reprendre. Ce n’est pas honnête ni humain d’agir de la sorte. On ne joue pas avec le cœur d’une personne. Mlle Garant ne mérite pas cela. C’est contre ma conscience ! 

Devant mon refus, il garda Mlle Garant chez lui pour une semaine, puis il la plaça dans un foyer à Ottawa. Après quelques mois elle est décédée. Que de souffrances à cause de l’argent !

Humainement j’étais seule à me battre avec cette famille, surtout avec le neveu! Le service de Mlle Garant a été célébré à la paroisse Immaculée Conception chez les Pères Jésuites. Je dis alors un grand merci au Père Curé. 

Il me dit : « Tu sais le neveu est revenu pour réclamer l’argent (2000$) de sa tante disant qu’elle n’était pas lucide au moment où elle avait fait son testament. » 

Je dis au Père Curé : « Comment se fait-il que Mlle Garant n’était pas lucide pour le don des messes et qu’elle soit lucide pour le trente-deux mille dollars qu’ils ont eu ? Il n’y a qu’un testament ! »  Le Père Curé me dit : « Tu vas prier. »  Et moi de répondre : « Et vous, célébrez les messes. »